Ils font parler la foudre du Säntis

Un chercheur de l’EPFL a développé un capteur qu’il a placé dans la tour radio-TV érigée au sommet du Säntis, l’un des lieux d’Europe les plus touchés par la foudre. Le but est de mieux comprendre ce phénomène encore tout chargé de mystères.

Carlos Romero ne recule devant rien. Ce doctorant d’origine colombienne, passionné par la foudre, compte bien lever une partie du voile qui recouvre encore ce phénomène que tout le monde connaît, mais dont les principes physiques sont encore largement mystérieux.


Sa thèse, il l’a consacrée à la conception et la construction d’un boîtier de mesures totalement inédit. Quinze mille pièces et dix-huit mois plus tard, il n’a pas hésité à s’équiper d’un harnais et à se jucher à 80 mètres de hauteur pour l’installer dans un lieu particulièrement extrême: l’émetteur radio-TV du Säntis, construit sur un sommet de 2502 mètres et culminant lui-même 120 mètres plus haut. «A l’intérieur de l’antenne, les températures peuvent varier de -35°C en hiver à +40°C en été, explique le chercheur. Il fallait concevoir un appareil particulièrement résistant.»


L’antenne, qui n’est pas sans faire penser à une fusée prête à l’envol, possède aussi une autre caractéristique: elle attire la foudre. Selon les statistiques de l’organisme européen de détection des éclairs, ce serait même l’endroit d’Europe le plus touché par le feu du ciel. Un lieu idéal, donc, pour poursuivre l’œuvre du Suisse Karl Berger, référence internationale en la matière. L’exploitation de ses observations, menées pendant près de trente ans (1943-1972) au Monte San Salvatore (TI), se heurte aujourd’hui aux limites de la précision qu’il pouvait avoir à l’époque. «Les appareils que nous avons installés ont une résolution extrêmement fine et balayent un très large spectre de longueurs d’ondes, précise Farhad Rachidi, professeur au sein du groupe de compatibilité électromagnétique du Laboratoire des réseaux électrique (LRE) de l’EPFL. Ils prennent 100 millions de mesures par seconde et génèrent une telle quantité de données – un gigaoctet lors de chaque coup de foudre – que nous avons aussi dû créer le logiciel capable de les traiter.»


Un autre écueil devait être levé : les quatre heures qui séparent l’EPFL du Säntis, ainsi que les restrictions d’accès à ce bâtiment propriété de Swisscom. Pour y pallier, l’EPFL s’est associée à l’Ecole d’ingénieurs du canton de Vaud (HEIG-VD), à Yverdon-les-Bains, et à l'Université de Bologne afin de développer entre autres un système complet de contrôle et de commande à distance. Le recueil des données est totalement automatisé et les chercheurs reçoivent un SMS à chaque coup de foudre.


Les appareils ont été installés fin mai 2010. Depuis, «nous avons pu enregistrer 50 éclairs», se réjouit Farhad Rachidi. Et les résultats s’annoncent des plus prometteurs, surtout qu’un mystère étonne déjà les chercheurs : «Nous avons mesuré 7 éclairs de polarité positive, alors que la grande majorité de ceux qui touchent la Suisse sont normalement négatifs», relève le spécialiste.


En plus d’aider à mieux comprendre la foudre, les recherches qui seront faites avec ces capteurs, soutenues par un budget du Fonds national suisse, de l’Union européenne,d’Armasuisse et de Montena EMC, serviront d’autres buts. «La précision des statistiques européenne laisse à désirer, estime Carlos Romero. Nous pourrons les aider à ajuster leurs algorithmes.» De plus, une meilleure connaissance des perturbations électromagnétiques générées par la foudre permettra de mieux protéger les appareils électroniques, une spécialité du laboratoire de Farhad Rachidi. «Nous voulons aussi comprendre pourquoi le mouvement des pales des grandes éoliennes tend à attirer la foudre», ajoute ce dernier, bien certain que le capteur de son doctorant donnera à son laboratoire de l’ouvrage pour au moins dix ans.

En photo: coup de foudre sur le Léman. © Philippe Barraud


Auteur: Emmanuel Barraud

Source: EPFL