«Il ne faut pas oublier ses passions»

© Scott Cheap

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Per Wingaard Sjøqvist étudie en master en génie mécanique, tout en menant une carrière de freerider. Deux domaines très prenants qui requièrent quelques sacrifices mais peuvent aussi joliment se compléter.

Il répond, tôt le matin, du Val d'Anniviers, sa région de prédilection pour le ski.

Per Wingaard Sjøqvist profite de la montagne avant le début de son projet de master en génie mécanique qu'il effectuera chez Rolex. «D'ici-là, je suis un électron libre, je m’oriente en fonction de la neige et des conditions !» Avant de commencer la vie de bureau, Per a participé le week-end dernier à une compétition qualificatrice pour le Freeride World Tour, où il s’est classé 3è.

D'origine suisso-norvégienne, l'étudiant de 24 ans a vécu dans différentes villes avec sa famille avant de s'établir en Suisse. Être entre-deux, ce polyglotte qui parle quatre langues en a donc l'habitude depuis son plus jeune âge.

Il commence le ski très tôt et se lance dans la compétition dès ses 13 ans. Mais avec dès le départ les pieds sur les skis et la tête dans les livres. «Mes parents m'ont encouragé en me proposant de financer mon matériel si j'étudiais bien!»

L'accord s'est révélé concluant: Per passe un bac S, spécialité math, avec une moyenne de 17.57 sur 20.

Le choix de l'EPFL s'est alors imposé naturellement pour ses programmes «et sa situation proche des Alpes». En revanche, le jeune étudiant décide de suivre le cursus normal, et non pas le programme adapté aux sportifs d'élite. «Plutôt que la compétition, ce que j'aimais surtout, c'était de pouvoir rider et réaliser de belles images en vidéo pour exprimer mon côté créatif, ce que je ne pouvais pas forcément faire à l’EPFL».

«Pire année de ma vie»

En 2013, Per commence donc son bachelor, mais les débuts s'avèrent rudes. «La première année, j'ai choisi de me faire violence et de ne pas skier. Grosse erreur. Je me posais beaucoup trop de questions sur mes choix, ma capacité à réussir. Mon moral était au plus bas, et cela s'en est même ressenti physiquement.» Moins entraîné, Per se blesse, s'ensuivent des complications.

Si c'était à refaire, comme il le conseille à des jeunes qui l'interrogent: «Il ne faut pas oublier ses passions, même si on suit des études exigeantes. Cela peut être une bonne idée d'effectuer la première année en deux ans et moduler ses crédits selon son parcours.»

Dans les faits, ce sera le cas de Per puisqu'il rate le gros bloc de première année à cause de l'analyse et l'algèbre. Les examens type QCM et vrai/faux ne lui correspondent pas. «C'était la pire année de ma vie, j'avais une blessure à l'épaule, mes parents s'inquiétaient. J'ai pensé tout arrêter.»

Déclic

Mais durant l'été, il effectue un stage en entreprise, et réalise: «en fait je n'étais pas si mauvais, malgré ma position très moyenne en cours». C'est le déclic. «On oublie qu'à l'EPFL, on est entouré des meilleurs étudiants du monde dans leur domaine, mais si on élargit la focale, on peut se sentir plutôt bon!» Per se rend également compte que de par ses passions, le freeride - mais aussi le vélo qu'il pratique en été - ainsi que son parcours cosmopolite, il a développé des soft skills particulièrement bien vus dans le monde professionnel.

Per repasse donc sa première année et doit «réapprendre à réfléchir». Issu d'une scolarité française, «j'avais l'habitude d'apprendre par cœur. A l'EPFL j'ai appris à analyser.» Il retrouve aussi un équilibre, avec une vie sociale, et évidemment le ski le week-end. «Si je n'avais pas eu le sport à côté de mes études, je ne suis pas sûr que j'aurais réussi à continuer». Il réalise alors avec un ami un premier film sur le freeride et commence à trouver des sponsors.

Au final, il terminera son bachelor en cinq ans, avec parfois des examens ratés de peu et quelques sacrifices pour conjuguer sa vie d'étudiant et sa carrière sportive. «Je ne regrette absolument rien. Et quelle chance incroyable de pouvoir prendre un train à 7h pour aller rider et retourner au Rolex en fin de journée pour étudier!»

Per retient aussi que malgré les moments éprouvants et les challenges qu'il s'imposait à lui-même, il ne s’est jamais senti en concurrence avec ses camarades. «Ce sont des études difficiles, mais on est tous dans le même pétrin! Il y a une envie commune de réussir, on se tire vers le haut.»

Revanche

Après ces années de dur labeur, Per est récompensé quand il commence son master, qu'il choisit de poursuivre à l'EPFL. Comme pour prendre une revanche sur son bachelor en dents de scie. Pouvoir choisir ses cours, se diriger davantage vers l'industrie que l'académique et collaborer avec des professeurs impliqués le réjouit particulièrement. Ses compétences personnelles sont alors mises à contribution. «J'étais toujours motivé pour les travaux de groupes et les présentations orales, on était évalué tout au long de l'année, ce qui demande plus de travail régulier, mais cela me convenait mieux.»

Per envisage l'avenir en continuant à jongler entre ses passions et sa carrière d'ingénieur, en prenant exemple sur d'autres sportifs issus de hautes écoles qui ont pu aménager leur temps de travail.

Lorsqu'il passe des entretiens, Per n'hésite pas à mettre en avant ses deux casquettes. «A la question: est-ce que vous arriverez à rester assis dans un bureau? Je réponds: j'ai fait l'EPFL! C'est assez convaincant…»


Auteur: Cynthia Khattar

Source: People