«Il n'y a rien de plus stimulant qu'une carrière académique»
Camille Goemans est microbiologiste. Ses recherches portent sur l’impact des antibiotiques sur diverses bactéries, en particulier celles qui résident dans le microbiote intestinal humain.
Camille Goemans, professeure assistante tenure track et responsable du Laboratoire d’interactions médicament-microbiote de l’EPFL, étudie comment les antibiotiques affectent les microbes, comment les bactéries développent une résistance et comment elles partagent les éléments de résistance au sein des communautés intestinales. Elle combine la microbiologie moléculaire et systémique avec un vif intérêt pour la découverte de nouveaux traitements ou le rétablissement de l’efficacité des traitements existants.
Quelles recherches faites-vous?
Je m’intéresse aux antibiotiques et à leur effet sur diverses bactéries. Nous savons très bien comment ils agissent sur certains modèles bactériens ou pathogènes courants. En revanche, nous ne comprenons pas vraiment comment ils affectent des espèces plus diverses, en particulier les bactéries qui vivent dans notre intestin, c’est-à-dire les microbes intestinaux humains.
Nous étudions l’impact des antibiotiques connus sur les bactéries intestinales, comment elles deviennent résistantes aux antibiotiques et comment elles partagent les éléments de résistance au sein des communautés intestinales. Alors que nous entrons dans la crise de la résistance aux antibiotiques où certains antibiotiques ne sont plus efficaces, nous essayons de trouver des moyens de mettre au point de nouveaux traitements ou de les rendre de nouveau efficaces.
Qu’est-ce qui vous a amenée dans ce domaine? Comment avez-vous commencé à vous y intéresser?
Au départ, je ne m’intéressais pas beaucoup à ce domaine particulier. Je me suis retrouvée un peu par hasard dans un laboratoire de microbiologie pour ma thèse de bachelor et je me suis rendue compte que les bactéries étaient très intéressantes. J’ai découvert le monde de la microbiologie et j’ai été très attirée par ce domaine. Je suis donc restée dans le même laboratoire pour mes thèses de master et de doctorat, à faire de la microbiologie.
Qu’est-ce qui vous fascine dans votre matière?
Ce qui me fascine, c’est le peu d’informations que nous avons sur ces bactéries. Quand j’ai commencé en microbiologie, personne ne parlait du microbiote. Depuis ces dix dernières années, on en entend parler de plus en plus. Il en va de même pour les antibiotiques. Nous savions qu’il y avait un problème de résistance aux antibiotiques, et aujourd’hui c’est un problème qui prend de l’ampleur, mais il est toujours très intéressant de constater à quel point nous en savons peu.
D’un autre côté, c’est vraiment l’aspect fondamental: la différence entre ces bactéries. Elles peuvent survivre à n’importe quel environnement. Comprendre comment cela fonctionne au niveau moléculaire me fascine.
Quelles difficultés rencontrez-vous?
Travailler avec des antibiotiques est compliqué. Il est difficile d’essayer de trouver des moyens de retarder la résistance aux antibiotiques ou de lutter contre cette crise, car la résistance apparaîtra toujours, donc c’est une sorte de lutte sans fin. C’est un défi au niveau de la matière.
Je pense que faire carrière dans le milieu universitaire est la chose la plus stimulante qui soit, et je me sens très chanceuse que cela ait marché pour moi. Mais, comme nous le savons, il y a beaucoup de choses à faire en parallèle. Selon votre personnalité, vous pouvez être stressé ou non, mais c’est assez intense en général.
Si, en plus, vous voulez fonder une famille, cela peut être très difficile parce que vous devez voyager, changer de pays – et si vous avez un partenaire, cela complique sa carrière. Si vous avez des enfants, en Suisse, il est très difficile de tout combiner. C’est possible, j’ai trois enfants, mais cela demande beaucoup d’énergie et de support.
Qu’enseignez-vous à l’EPFL?
J’enseigne deux cours différents. Le premier est la biologie moléculaire et cellulaire I, qui se déroule au premier semestre de la deuxième année de bachelor. J’ai commencé ce semestre et il y a environ 200 étudiantes et étudiants. Je partage le second cours avec trois autres professeurs; c’est la biologie générale pour les étudiantes et étudiants de première année de bachelor. Donc j’enseigne vraiment très tôt dans le cursus, en première et deuxième année, avec de grands groupes.
Qu’est-ce qui vous plaît dans ces cours?
C’est la première fois que la plupart des étudiantes et étudiants découvrent la biologie, surtout parce qu’ils ont beaucoup de physique et de mathématiques au début. Ils sont donc vraiment ravis d’entendre enfin parler de biologie – c’est ce qu’ils ont choisi d’une certaine manière. Et il est très facile d’éveiller leur curiosité parce qu’il s’agit de comprendre les vraies bases de la biologie et de la biologie moléculaire.
Qu’aimeriez-vous changer?
L’année dernière, j’ai échangé avec des étudiantes et étudiants dans le cadre du groupe de travail sur la santé mentale à l’EPFL. Je me suis aperçue à quel point cela peut être stressant pour eux et à quel point il y a parfois une déconnexion entre les étudiantes et étudiants et le corps enseignant. Nous sommes tous stressés dans nos propres petites bulles et ne réalisons pas toujours que les autres le sont aussi.
Donc maintenant, dans ma classe, j’essaie d’être vraiment ouverte avec les étudiantes et étudiants – je leur demande si je vais trop vite ou trop lentement, s’ils peuvent suivre les exercices – et je les encourage à faire des commentaires. Je pense qu’il pourrait y avoir des moyens d’améliorer les échanges entre le corps enseignant et la communauté étudiante pour que nous ayons le sentiment d’appartenir tous au même groupe. Il ne s’agit pas de «professeurs contre des étudiants» ou une sorte de dynamique qui serait préjudiciable à tout le monde. J’essaie d’avoir cette discussion ouverte avec les étudiantes et étudiants autant que possible.
Vous pouvez nous en dire plus sur vous?
Avant de commencer la recherche, puis parallèlement à mes travaux de recherche, j’étais danseuse à un niveau semi-professionnel. J’ai aussi été professeure de danse pendant une dizaine d’années, de 16 à 26 ans. Donc j’ai toujours aimé enseigner, mais bien sûr c’est très différent de l’enseignement de la biologie! Cela a toujours été très important pour moi. Pendant mon doctorat, ou du moins avant d’avoir mon premier enfant, je dansais entre 10 et 15 heures par semaine, et puis bien sûr j’ai dû réduire mon activité à un moment donné.
Regardez la conférence inaugurale de Camille Goemans :L'impact des antibiotiques sur les microbes de l'intestin humain (en anglais)