«Il faut insister sur le fait que nos vies seront bouleversées»
Une étudiante et une alumnae de l’EPFL ont passé deux semaines en Antarctique après avoir reçu le Prix Antarctica. L’occasion pour elles de faire le point sur les enjeux de la sensibilisation du public à la crise climatique.
Partir au bout du monde en avion puis deux semaines en mer, tout en étant conscientes de ce que cela signifie en termes d’empreinte carbone: Alessandra Capurro et Anaïs Matthey-Junod se sont posé mille et une questions avant, pendant, et après leur périple. «Mais c’est une opportunité qui ne se présente qu’une seule fois dans une vie et que l’on se doit de saisir».
Fin novembre 2021, les deux jeunes scientifiques embarquent pour un voyage de deux semaines dans l’un des coins les plus reculés de la planète: l’Antarctique. Elles ont décroché le prix Antarctica 2021 de la Fondation du Domaine de Villette, organisé par Tech4Impact, pour leurs travaux de recherche et d’entrepreneuriat dans le domaine de la durabilité.
Alessandra étudie la robotique et les technologies spatiales à l’EPFL et est actuellement en stage à l’Observatoire européen austral (ESO) en tant qu’ingénieure en développement durable. Elle a décroché ce prix grâce à EcoLens, projet imaginé dans le cadre du programme EPFL Changemakers qui vise à évaluer l'impact environnemental des repas dans les restaurants et récompenser les comportements durables. EcoLens sera prochainement mis en place sur le campus de l’EPFL dans le cadre d’Act for Change LAB et Zero Emission Group (ZEG).
Anaïs est désormais employée par NORCAP (un programme de l’ONG Norwegian Refugee Council) et est déployée à l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) en tant qu’experte en énergie junior. Elle a obtenu son Master en Gestion de l'énergie et durabilité à l’EPFL en 2020. Pour son travail de thèse, elle a modélisé un système énergétique solaire décentralisé destiné à un camp de réfugiés au Djibouti, un pays de la Corne de l’Afrique. L’aspect hybride de son projet, entre aspects techniques et faisabilité économico-sociale, a séduit le jury.
Perdues au milieu de nulle part
Le 26 novembre 2021, Alessandra et Anaïs montent à bord du Ocean Victory, un navire dernière génération à faible consommation énergétique, depuis Ushuaia en Argentine. Quatorze jours pour découvrir l’Antarctique dans toutes ses nuances, de son immensité à sa fragilité. «J’ai été frappée par le vert de l’île de la Géorgie du Sud», commence Anaïs. Alessandra continue: «Sur la Péninsule Antarctique, les couleurs oscillaient entre blanc, gris et un bleu très vif dans l’eau. C’était presque tout noir lorsque le temps était nuageux. Nous nous attendions à voir beaucoup plus de neige mais pas autant d’animaux sauvages et surtout pas de si près!» Mais l’expédition ne s’est pas résumée à profiter de ce spectacle: «Notre emploi du temps était bien rempli», explique Anaïs. «Nous avons assisté à énormément de conférences et de formations sur l’histoire et la découverte de ce territoire, sur sa faune, sa flore, son climat et sa préservation.»
Déjà sensibles aux questions liées au changement climatique, Anaïs et Alessandra ont été confortées dans leurs choix d’études et de carrières. «Cette expérience a renforcé nos connaissances scientifiques dans ce domaine et nous a rappelé une fois de plus les raisons pour lesquelles nous devons nous attaquer à ce problème de toute urgence», explique Anaïs.
«Ayant eu la grande chance de visiter l’Antarctique lors d’un voyage scientifique, faire bénéficier de cette même et passionnante expérience à deux jeunes scientifiques de l’EPFL était une évidence», déclare Thierry Lombard, Président de la Fondation du Domaine de Villette. «Ce voyage leur aura permis d’être exposées à la réalité du changement climatique, à la nécessité de toutes et tous d’agir, et à l’intrigante et intéressante gouvernance de ce continent qui devrait inspirer nos politiciens pour un monde meilleur».
Sortir des sentiers battus
Néanmoins, les scientifiques en devenir ont été confrontées à une toute autre dimension du changement climatique. «Nous avons rencontré beaucoup de personnes d’horizons différents, dont certaines n’étaient pas du tout disposées à réfléchir à tout ça», relate Anaïs. «Nous avons donc dû adapter notre discours, trouver ce qui les intéressait vraiment et relier leurs intérêts aux questions de durabilité pour leur montrer pourquoi ils devraient s’en soucier.»
Alessandra rejoint ce constat : «Grâce aux conférences de Gabrielle Walker [fondatrice de Valence Solutions, une société de conseil en climatologie], j’ai réalisé que parler des conséquences de la crise climatique sur la vie des gens a plus d’impact que leur parler de la planète qui est en danger. Il faut axer notre discours sur le fait que nos vies seront bouleversées».
Les deux jeunes femmes s’accordent à dire que débattre avec les personnes qui n’ont pas conscience des enjeux climatiques, leur exposer des faits scientifiques et défier leurs opinions en vaut la peine. «Si nos efforts permettent de faire germer une réflexion sur le sujet, aussi infime soit-elle, alors nous avons déjà fait une petite part de notre travail. Même si cela est loin d’être suffisant», conclut Anaïs.