«Il faut cesser d'être naïfs socialement sur ce qu'est le patrimoine»
Peter Larsen, maître d’enseignement et de recherche en anthropologie à l'Université de Zurich, et invité académique du Collège des Humanités (CDH) pour 2021, s'attaque à des questions théoriques et pratiques qui sont à l'intersection du patrimoine, de la créativité, et de l'innovation.
Avec une formation en théorie sociale critique, en anthropologie environnementale, et en écologie politique, le travail de Peter Larsen se concentre sur le patrimoine naturel et culturel, le développement durable, et l’équité sociale. Ses lieux de travail sur le terrain vont de l'Amazonie péruvienne et du Vietnam aux vignobles suisses de Lavaux.
Mais à travers ses diverses études et voyages, Peter Larsen a remarqué un problème important : les conceptions et définitions du « patrimoine » telles qu’utilisées dans les universités, les politiques publiques, et la culture populaire sont insuffisantes pour comprendre les multiples rôles que le patrimoine joue réellement dans les sociétés contemporaines.
« Les définitions actuelles du patrimoine ont tendance à se limiter à ce qui est considéré comme « significatif ». Par exemple, la région de Lavaux est un site du patrimoine mondial de l'UNESCO, mais cette désignation ne nous renseigne pas sur les pratiques réelles du patrimoine : qui le gère, qui en bénéficie, ou de nouvelles significations et l'utilisation créative de la matérialité du patrimoine, » explique Peter Larsen.
« Nous devons cesser d'être naïfs socialement sur ce qu'est le patrimoine et devenir anthropologiquement réalistes sur la façon dont il impacte la dynamique de transformation sociale, économique et politique. »
Peter Larsen affirme donc qu'un cadre conceptuel plus solide est nécessaire pour définir ce qu'est le patrimoine, comment il est utilisé de manière créative et comment les gens innovent au fil du temps. La poursuite d'un tel cadre constitue la base de sa poste d’Invité académique du CDH, qu'il a développée en collaboration avec Florence Graezer Bideau, maître d’enseignement et de recherche à l'Institute for Area and Global Studies (IAGS), et qui débutera en janvier 2021.
« La raison d'être de ce projet est de créer un espace et un temps pour penser plus clairement et systématiquement à la notion de patrimoine, à la créativité et à l'innovation. Le patrimoine sur le terrain correspond rarement à ce que vous lisez ; cela implique des paysages, des relations et des façons de faire en constante évolution. Mais nous ne sommes pas équipés conceptuellement pour appréhender ces processus. »
L'innovation au-delà de la préservation
Peter Larsen explique que bien que le patrimoine soit souvent considéré comme tourné vers l'histoire principalement et qu'il soit rarement associé à la créativité et à l'innovation, ce stéréotype ne correspond pas du tout à la réalité. Les technologies numériques pour étudier et reproduire le passé – comme le démontre, par exemple, le projet Time Machine Europe – sont un domaine de recherche qui croît particulièrement rapidement. Mais Peter Larsen souligne que l'innovation patrimoniale ne se limite pas aux outils de préservation culturelle ; elle a aussi un rôle crucial à jouer dans la durabilité environnementale.
« Nous sommes confrontés à des modèles conceptuellement défectueux pour la prise de décision publique dans lesquels les personnes et la nature sont séparées. Les interactions de longue date entre les personnes et les paysages sont ignorées, voire sapées. Compte tenu des défis en matière de durabilité auxquels nous sommes confrontés, nous devons développer des modèles qui rassemblent la nature et les gens, et examiner la pertinence du patrimoine pour faire face au changement climatique et aux inégalités. Comment pouvons-nous relier les paysages urbains de conservation, de transformation et de culture, et comment le patrimoine s'intègre-t-il dans ce cadre ? »
Un centre de débats sur le patrimoine au CDH
Pendant son mandat, Peter Larsen prévoit de travailler en étroite collaboration avec Florence Graezer Bideau, ainsi qu'avec d'autres chercheurs du CDH intéressés par le thème du patrimoine, dont Sarah Kenderdine (Laboratoire de muséologie expérimentale), Frédéric Kaplan (Laboratoire d'humanités digitales) et Jérôme Baudry (Laboratoire d'Histoire des sciences et des techniques).
En plus de créer des liens au sein du CDH, Peter Larsen espère ouvrir des portes plus loin, notamment à travers l'organisation d'une conférence internationale sur le patrimoine, la créativité et l'innovation, qui se tiendra sur le campus de l'EPFL à la mi-2021. Il prévoit également d'organiser un workshop pour les doctorants.
Si l’ampleur de la présence physique de Larsen sur le campus de l’EPFL sera déterminée par l’évolution de la situation sanitaire, il souligne que sa « porte est toujours ouverte », au propre comme au figuré, à de nouvelles collaborations.
« J'ai vraiment hâte de profiter de l'espace interdisciplinaire qu’offre le CDH, qui est à l'interface de ce que le passé signifie pour le présent, et vice-versa », dit-il. « Je serais ravi de collaborer avec des étudiants et d'autres chercheurs, alors n'hésitez pas à m'approcher pour une conversation. J'aspire à rencontrer le plus de monde possible à l'EPFL ! »