«Il est peut-être temps de réfléchir aux alternatives qui existent»
Anaïs Ladoy, doctorante au Laboratoire de systèmes d’information géographique (LASIG), a opté pour l’usage exclusif de logiciels libres dans le cadre de sa thèse. Ceci afin de rendre ses résultats reproductibles et accessibles à toutes et à tous.
Notre lieu de vie influence notre état de santé. C’est pourquoi l’approche géographique peut aider à mieux guider les politiques de santé publique et les campagnes de prévention. Par exemple, en investiguant les interactions entre santé et environnement ou en ciblant les zones où les besoins sont les plus importants. Comment favoriser son usage au sein des administrations publiques? C’est ce qu’Anaïs Ladoy cherche à comprendre dans le cadre de sa thèse réalisée au Laboratoire de systèmes d’information géographique (LASIG) de la Faculté de l'environnement naturel, architectural et construit (ENAC) depuis 2019, en partenariat avec le Canton de Vaud. La particularité de son travail? L’ensemble des outils informatiques qu’elle utilise sont des logiciels libres.
Défi personnel
«Pour moi, tout a commencé comme un défi personnel, explique la chercheuse. J’ai changé d’ordinateur au début de ma thèse, passant de Mac à PC, et là, j’ai eu envie d’opter pour le système d’exploitation Ubuntu (GNU/Linux) à la place du traditionnel Windows. J’avais déjà un fort intérêt pour la programmation et je ne voulais plus être une utilisatrice passive.» De fil en aiguille, Anaïs Ladoy adopte une alternative libre pour chaque tâche, en passant par la bureautique, le navigateur, le moteur de recherche, le traitement d’image, les environnements de développement intégré (IDE), mais aussi les applications plus spécifiques à son domaine de recherche comme la cartographie et le traitement des données géographiques.
Elle s’est pour cela fortement appuyée sur un annuaire mis en place par Jean-Daniel Bonjour, l’ancien responsable informatique de l’ENAC. Dans le cadre d’un processus de géocodage, qui vise à trouver les coordonnées géographiques correspondant à une adresse, son approche consiste à privilégier des bases de données fédérales (geo.admin.ch) ou participatives (OpenStreetMap) à la place des services proposés par Google.
Tout ce que je produis dans le cadre de ma thèse pourra être consulté et reproduit sans avoir acheté au préalable un quelconque logiciel.
Ethique et scientifique
Pour elle, ce choix est autant éthique que scientifique: «Tout ce que je produis dans le cadre de ma thèse pourra être consulté et reproduit sans avoir acheté au préalable un quelconque logiciel. Un critère que je trouve particulièrement important dans le cas de recherches appliquées.» En 2021, son travail a été particulièrement utile au Canton pour identifier les régions où la population, par manque d’information ou faute d’accessibilité, présentait un taux de vaccination contre le Covid-19 inférieur à la moyenne suisse. Le choix d’utiliser un système d’information géographique libre (le logiciel propriétaire équivalent coûtant plus de 10’000 francs par année) s’est révélé pertinent lors de séances de crises avec le Canton de Vaud, alors en pleine campagne de vaccination.
Des cartes pour cibler la vaccination itinérante contre le Covid-19, EPFL Actulalités, 19 août 2021.
Les expertes et experts de la Protection civile et du Canton ont en effet pu manipuler et adapter les cartes que la chercheuse avait produites et en déduire les actions à mener sans avoir dû s’acquitter du prix de licence du logiciel. «Les administrations publiques et les entreprises économiseraient beaucoup d’argent en passant aux logiciels libres», commente Anaïs Ladoy. «En cette période où nous questionnons beaucoup le contrôle des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, ndrl), il est peut-être temps de réfléchir aux alternatives qui existent.»
Un faux problème
Pourquoi ces logiciels peinent-ils donc encore à se généraliser? La sécurité du support client serait encore un point de blocage. Avec les logiciels libres, la résolution d’un bug repose en effet sur la communauté et non sur un support payant. C’est toutefois un «faux-problème» selon Anaïs Ladoy, car ce sont souvent les mêmes bugs qui reviennent et les solutions sont suffisamment documentées en ligne. De plus, les services informatiques d’entreprises ou de services publics sont assez compétents pour les gérer.
Peu de personnes repartent dans les logiciels propriétaires, car une fois qu’on a fait ce choix, on s’y tient.
Pour la doctorante, le principal frein à l’utilisation des logiciels libres réside dans les problèmes d’interopérabilité. Le fait qu’un grand nombre de documents circule encore avec des formats privés, comme l’extension Word ou PowerPoint, rend parfois pénible les efforts de conformité (mise en page décalée, bibliographie non intégrée, etc.). Selon elle, ces écueils restent toutefois minimes et découlent surtout d’un conditionnement. «Peu de personnes repartent dans les logiciels propriétaires, car une fois qu’on a fait ce choix, on s’y tient. Pour ma part, le pari était gagnant. Je suis encore plus convaincue maintenant qu’au début de ma thèse d’avoir adopté la bonne stratégie pour rendre ma recherche la plus accessible possible.»
La doctorante avait eu connaissance de l’existence des logiciels libres lors d’un cours à l’EPFL. Dans ses tâches d’assistanat en Sciences et ingénierie de l’environnement, elle en profite pour sensibiliser à son tour la communauté estudiantine à l’utilisation de ces outils.