«Il est normal que les étudiant·es apprécient un peu de ‘show'»

Eugen Brühwiler, été désigné meilleur enseignant de la section de génie civil en 2023 - 2023 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Eugen Brühwiler, été désigné meilleur enseignant de la section de génie civil en 2023 - 2023 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Depuis plus de quarante ans, Eugen Brühwiler est l’ardent défenseur d’une ingénierie durable, tournée vers les structures existantes. Fin novembre 2023, il a pris sa retraite, non sans avoir auparavant été désigné meilleur enseignant de la section de génie civil.

De tout temps, l’ingénieur civil a été perçu comme un bâtisseur de neuf. Son travail est source de fantasme, celui d’une construction sortant de nulle part, «de quelque chose émergeant du Rien». Or, «cette vision de notre métier est archaïque», peste Eugen Brühwiler. «Face à l’urgence climatique, elle est même devenue indéfendable», poursuit celui qui a été désigné meilleur enseignant 2023 de la section de génie civil de l’EPFL.

Le frais retraité - qui a œuvré durant trois décennies au sein du Laboratoire de maintenance, construction et sécurité des ouvrages (MCS) – rappelle que «le secteur de la construction est responsable à hauteur d’environ 50% du changement climatique et de ses effets». Plutôt que de faire du neuf, il faut donc se concentrer au maximum sur ce qui existe déjà, «en le monitorant et, au besoin, en l’améliorant de façon aussi peu invasive que possible».

Première mondiale

Rénover, adapter et modifier plutôt que de construire du neuf, bref, tendre vers une «ingénierie des structures existantes»: ce credo guide depuis plus de quarante ans le parcours d’Eugen Brühwiler. Sa sensibilité au développement durable, elle, est encore plus ancienne. «Alors que j’approchais de la fin de mon cursus gymnasial, je suis tombé sur le rapport du Club de Rome évoquant les limites de la croissance.» Captivé, le jeune homme commence à s’intéresser aux «champs de contraintes entre le régime socio-technique et l’environnement». Dans la foulée, il réalise que «l’ingénieur est au centre de tout cela».

Les lectures se multiplient, notamment «un livre sur le bétonnage de la Suisse» offert par sa sœur. «C’était le début des réflexions environnementales et de la remise en question des grands travaux de type autoroutiers; rapidement, j’ai su que je souhaitais apporter ma contribution.» De fait, une fois son diplôme d’ingénieur civil de l’EPFZ en poche, Eugen Brühwiler se lance dans des recherches dans les domaines de la fatigue des ponts en acier rivetés et de la mécanique de la rupture des bétons de barrage. Elles seront couronnées par une thèse de doctorat défendue en 1988 à l’EPFL.

Lorsqu’il prend en 1995 la direction du tout nouveau Laboratoire de maintenance, construction et sécurité des ouvrages de l’EPFL, l’ingénieur passe à la vitesse supérieure. Véritable «chaire d’ingénierie des ouvrages existants», le MCS «était une première mondiale». Sa mission? Développer des méthodes d’examen relatives aux ouvrages existants dans le but de limiter au strict minimum les interventions de construction. Et, en cas de nécessité, améliorer l’ouvrage de manière non envahissante.

Attentes conservatrices des étudiantes et étudiants

Pour ce faire, les ingénieurs doivent pouvoir s’appuyer sur des technologies de pointe. En effet, «valoriser le bâti existant n’équivaut pas à adopter une attitude et des pratiques conservatrices». Bien au contraire: l’équipe du MCS, en collaboration avec des partenaires externes, implémente depuis vingt ans la technologie innovante du CFUP (composite cimentaire fibré ultra-performant) pour réhabiliter, renforcer et modifier des ouvrages existants en béton armé. «Réalisée pour la première fois en 2004 sur un pont routier près de Sion par le MCS, cette technologie est aujourd’hui largement reconnue à travers le monde.»

Ce qui est plus conservateur, ce sont les attentes de ses étudiant·es– ou plutôt ex-étudiant·es, puisqu’Eugen Brühwiler a pris sa retraite fin 2023-, s’étonne-t-il. «Même ma toute dernière volée m’a réclamé un polycopié sur papier, s’empressant de dégainer des stabilos pour surligner les éléments les plus importants…» Ses cours, le professeur s’efforçait de les rendre «les plus vivants possibles», ce afin de ne pas perdre l’attention de son auditoire. Il se montre d’ailleurs compréhensif envers les jeunes: «Vu le nombre de cours auxquels ils et elles assistent, il est normal qu’ils et elles apprécient un peu de ‘show’ de la part des enseignantes et enseignants.» Visiblement, le talent de showman d’Eugen Brühwiler fait mouche, puisque c’est déjà la troisième fois qu’il est nommé meilleur enseignant de sa section.

Plaidoyer pour une formation ciblée

C’est d’ailleurs le cœur un peu lourd que le Thurgovien tourne la page de sa longue carrière d’enseignant. D’une part «parce que le contact et les échanges animés avec les étudiant·es vont me manquer». D’autre part parce qu’il sait qu’avec son départ, l’EPFL perd son plus ardent défenseur d’une formation en ingénierie axée sur les structures existantes. Quelques regrets, donc, mais aussi de belles perspectives. Car loin de lever complètement le pied, Eugen Brühwiler continuera à faire profiter les milieux de la construction durable de sa riche expérience. Le Fonds national suisse l’a notamment prié d’intégrer le comité de direction de son nouveau Programme national de recherche 81. Consacré à la culture du bâti, il a pour objectif d’améliorer la qualité de l’environnement construit dans une optique de durabilité.


Auteur: Patricia Michaud

Source: Environnement Naturel, Architectural et Construit | ENAC

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