«Il est essentiel de choisir le bon domaine de recherche»
Trois jeunes doctorantes enthousiastes, qui travaillent chacune dans une faculté et un domaine complètement différents, présentent le quotidien d’une chercheuse ou d’un chercheur à l’EPFL. Leur seul point commun est que leurs laboratoires travaillent en collaboration avec le centre EcoCloud de l’EPFL.
Lara Orlandic est originaire des États-Unis et travaille au sein du Laboratoire des systèmes embarqués de la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur. Belén Yu Irureta-Goyena Chang est espagnole et travaille au sein du Laboratoire d’astrophysique de la Faculté des sciences de base. Simla Burcu Harma est turque et travaille au Laboratoire d’architecture de systèmes parallèles et au Laboratoire d’apprentissage machine et d’optimisation de la Faculté informatique et communications.
Au cours de notre entretien, nous avons abordé tous les sujets, de leurs expériences à l’EPFL aux bonnes pratiques de recherche, en passant par l’utilisation éthique de l’intelligence artificielle.
Quelle est la charge de travail d’une chercheuse doctorante ou d’un chercheur doctorant à l’EPFL?
«Avant de commencer, j’ai entendu beaucoup de choses horribles», explique Simla Burcu Harma. «On me disait que ce serait l’expérience la plus difficile de ma vie. En fait, la clé est une bonne gestion de son temps. Il faut savoir planifier sa charge de travail. Si vous avez le bon état d’esprit et si vous faites des pauses après des délais serrés, ça peut être très agréable. Faire de la randonnée en montagne, visiter des villes dans d’autres pays. Cela permet de trouver un équilibre par rapport au travail.»
«En master, la pression est permanente», confie Lara Orlandic. «Mais avec le doctorat, vous avez du temps entre les délais de publication et les autres délais que vous vous êtes fixés. Dans notre laboratoire, nous ne nous mettons pas la pression pour faire des heures supplémentaires. Nous faisons de la randonnée, du kayak; nous arrivons à trouver un bon équilibre.»
«Dans plusieurs programmes de doctorats aux États-Unis, la charge de travail est plus importante, les vacances ne sont pas définies et le salaire est faible par rapport au coût de la vie dans les grandes villes. À l’EPFL, les doctorantes et doctorants sont considérés comme des employés, pas comme des étudiantes et étudiants. Nous avons nos week-ends, un salaire correct et nous sommes même obligés de prendre 25 jours de vacances», poursuit-elle.
En quoi la recherche doctorale est-elle différente de vos études antérieures?
«Avant de quitter les États-Unis, un professeur m’avait dit ceci: "À partir de maintenant votre parcours sera non linéaire. Les résultats que vous obtiendrez ne reflèteront pas forcément la quantité d’efforts que vous aurez fournis." J’ai parfois du mal à faire la part des choses entre mon estime de moi et la réussite de mes résultats», explique Lara Orlandic.
«C’est une petite partie de ce que vous faites qui donne la plupart des résultats», selon Belén Yu Irureta-Goyena Chang.
Avez-vous parfois l’impression d’être dans un environnement masculin?
«Oui, mais surtout pendant mon bachelor», affirme Simla Burcu Harma. «On me demandait: "Ne serait-il pas plus approprié pour une femme de faire de la médecine plutôt que de l’ingénierie?" Les préjugés sexistes subsistent.»
Lara Orlandic est de cet avis: «Pendant mon bachelor, dans les projets de groupe, quand nous nous répartissions les tâches, un membre de l’équipe déclarait de manière directive: "OK, Bob va construire le robot, Sam va écrire le code et toi, Lara, tu peux rédiger le rapport." Vous finissez donc par faire du travail supplémentaire pour prouver que vous pouvez effectuer des tâches techniques et pas seulement des tâches administratives. Avec un peu de chance, les choses s’amélioreront. La jeune génération voit que les femmes peuvent être d’excellentes ingénieures, sans aucun doute!»
Même l’IA peut avoir des préjugés sexistes, selon Simla Burcu Harma. «Avec Google, si vous traduisez "C’est un médecin, c’est un infirmier" du turc vers l’anglais, vous obtiendrez "Il est médecin, elle est infirmière". C’est dû aux données d’entraînement utilisées pour l’IA, qui sont générées par des êtres humains. Mais les choses changent. Avec ChatGPT, ils utilisent l’architecture Transformeur et un "mécanisme d’attention", où le choix du mot peut être déduit du contexte. Les chercheuses et chercheurs ajoutent également un grand nombre de contrôles afin d’éliminer les préjugés sexistes acquis.»
«Il est vraiment important de contrôler l’IA par une théorie fiable», ajoute Belén Yu Irureta-Goyena Chang. «Si vous utilisez une boîte noire et que vous vous fiez uniquement aux statistiques, vous pouvez obtenir des résultats qui n’ont aucun sens. Il faut des contraintes. Non seulement les données doivent être représentatives, mais l’apprentissage machine doit avoir du sens lorsque vous l’utilisez.»
«C’est pourquoi notre cours sur l’apprentissage machine comporte un module sur l’éthique», indique Simla Burcu Harma.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui envisagent de s’orienter vers la recherche?
«Renseignez-vous suffisamment avant de vous diriger vers le doctorat», suggère Simla Burcu Harma. «C’est très différent du bachelor. Au début, cela a été un choc pour moi. Dans un bachelor, nous avons des tâches et des examens spécifiques. En tant que chercheuse ou chercheur, nous devons lire beaucoup d’articles, les sélectionner soigneusement, appliquer les informations dans notre recherche et apprendre à être autonome, ce qui est difficile mais gratifiant. Aussi, ce n’est pas la même méthode de travail. Assurez-vous que vous êtes fait pour cela.»
«Il ne faut jamais avoir peur de demander de l’aide», conseille Belén Yu Irureta-Goyena Chang. «Les premiers mois, j’étais un peu timide et j’avais l’impression que rien n’allait. Puis je me suis dit: "Demande à quelqu’un". Et on m’a donné des conseils vraiment utiles.»
«Vous devez également travailler en équipe», ajoute Simla Burcu Harma. «Ce sont toujours les équipes qui produisent les travaux les plus aboutis de la littérature. Mon professeur d’université affirme que ce sont ses pairs, et non ses superviseuses et superviseurs, qui lui ont transmis 90% de son savoir.»
«Et vous devez déléguer», déclare Lara Orlandic. «Au début, j’étais très attachée à mon code, mais j’ai dû apprendre à déléguer lorsque j’ai commencé à être débordée.»
«Il est essentiel de choisir le bon domaine de recherche», conclut Simla Burcu Harma. «Mon professeur d’université dit souvent que si l’on fait ce que l’on aime, on n’a plus besoin de travailler pour le reste de sa vie.»
L’article complet est disponible ici:
https://ecocloud.epfl.ch/2023/09/08/three-lives-scientific-the-directors-cut/