Habiter autrement pour changer le bilan carbone de son logement

Les ménages composés d'une seule personne représentent la plus grande part des résidences dans les villes vaudoises. © iStock Photos

Les ménages composés d'une seule personne représentent la plus grande part des résidences dans les villes vaudoises. © iStock Photos

Une étude de l’EPFL a évalué l’empreinte carbone de 20'000 logements du Canton de Vaud. Ses résultats montrent l’importance d’adopter une approche ciblée pour réduire la consommation énergétique du secteur immobilier.

Les défis pour décarboner le monde de la construction sont immenses. Ce sujet, Ankita Singhvi en a fait son travail de thèse à l’EPFL. «Mon but est d’aider les responsables politiques et les entreprises qui possèdent de grands parcs immobiliers à voir où sont leurs priorités en matière de rénovation», explique la chercheuse du Laboratoire de relations humaines-environnementales dans les systèmes urbains (HERUS).

Architecte et experte en écologie industrielle, elle vient de faire paraître dans la revue Resources, Conservation & Recycling un extrait de son travail consacré au Canton de Vaud. Grâce aux certificats énergétiques cantonaux, Ankita Singhvi a calculé l’empreinte carbone de 15% des bâtiments résidentiels de ce territoire, soit 20'000 logements au total. Son étude met en lien les émissions opérationnelles des bâtiments (chauffage, électricité, etc.) et le bilan de leur énergie grise (coût énergétique total de leur construction). Pour chaque bâtiment, elle a ajouté le nombre d’habitants et habitantes par maison ou appartement, afin de chiffrer l’empreinte carbone annuelle par ménage.

En périphérie, compte tenu du vieillissement de la population, nous pouvons nous attendre à voir de plus en plus de ménages composés uniquement d'une ou deux personnes retraitées.

Ankita Singhvi

Écart entre villes et campagnes

Des résultats contrastés en découlent. L’énergie grise des ménages urbains du canton est par exemple moins élevée que celle des ménages ruraux: le nombre de mètres carrés par habitant est souvent plus élevé à la campagne et on y trouve un mélange de nouveaux et d’anciens bâtiments. En ville, 70% des logements ont été construits avant 1980, ce qui réduit leur énergie grise.

En revanche, la consommation opérationnelle annuelle des logements est plus élevée en ville, allant de 1500 à 1900 kilos de CO₂ par habitant. La présence de systèmes de chauffage obsolètes basés sur les énergies fossiles en est la cause.

Les ménages ruraux présentent pour leur part une variation plus importante de leur empreinte carbone liée à la consommation opérationnelle, allant de 1200 à 2200 kilos de CO₂ par personne. Les autrices et auteurs de l’étude attribuent ce large éventail à la superficie plus importante par habitant dans les campagnes, à la plus grande diversité des époques de construction (22% de bâtiments modernes construits après 2000 et 34% de bâtiments très anciens construits avant 1920) et à l'adoption supérieure de technologies renouvelables, telles que les panneaux photovoltaïques (par rapport aux zones urbaines), ce qui réduit, dans certains cas, les émissions de CO₂ par personne.

Les études montrent que l’empreinte carbone des zones rurales pourrait s’alourdir à l’avenir, précise Ankita Singhvi: «En périphérie, compte tenu du vieillissement de la population, nous pouvons nous attendre à voir de plus en plus de ménages composés uniquement d'une ou deux personnes retraitées, avec des habitations qui nécessitent des rénovations énergétiques, comme des systèmes de chauffage à faible émission de carbone, et une meilleure isolation», détaille la chercheuse.

Autre résultat: les bâtiments à propriété mixte, comme les PPE, présentent la plus forte énergie grise, le plus grand stock de matériaux et représentent les bâtiments les plus modernes, tandis que les coopératives d’habitation affichent la plus grande variation des émissions opérationnelles annuelles, allant de 1500 à 2300 kilos de CO₂ par habitante et habitant.

Ankita Singhvi est architecte et experte en écologie industrielle. © 2025 EPFL/Anthony Bourgeois - CC-BY-SA 4.0

Analyse au cas par cas

«Notre étude a permis d’identifier la diversité des mesures nécessaires pour améliorer la performance environnementale du parc immobilier vaudois», explique la chercheuse. Pour elle, cette diversité est essentielle pour éviter les stratégies globales qui risquent de rater leur cible. Ainsi, pour réduire l’empreinte carbone du secteur, Ankita Singhvi appelle à identifier les bons matériaux afin de mettre en place des rénovations à faible impact environnemental, à l’exemple de matériaux issus du réemploi. Pour ceci, chaque démolition de bâtiment devrait par exemple être l’occasion de réemployer ses matériaux dans les bâtiments voisins. Ceci prolongerait la durée de vie des matériaux de construction en leur conférant de nouvelles fonctions.

Toute rénovation ne conduit pas nécessairement à une réduction des émissions opérationnelles et intrinsèques, précise la chercheuse en conclusion de l’étude. Les interventions visant à améliorer l'enveloppe des bâtiments ou à moderniser les systèmes de chauffage et de climatisation peuvent certes contribuer à réduire les pertes d'énergie techniques, mais elles peuvent également perpétuer des modes de vie gourmands en ressources. Ainsi, une analyse au cas par cas est de mise en tenant compte des pratiques domestiques ainsi que des spécifications techniques du bâtiment.

Il y a encore des barrières légales et administratives qui freinent l’expérimentation d’autres manières d’habiter.

Ankita Singhvi

Plus de créativité

En complément, des initiatives temporaires, comme l’accueil d’étudiante et d’étudiants dans les grands espaces occupés par une ou deux personnes, pourraient aider à réduire l’empreinte carbone du parc immobilier vaudois et répondre aux besoins croissants en matière de logement. «Il y a encore des barrières légales et administratives qui freinent l’expérimentation d’autres manières d’habiter. J’ai espoir que mon travail pourra aider les autorités et le secteur foncier à être plus créatifs.»

La recherche d’Ankita Singhvi trouvera son prolongement dans le Panel lémanique d'analyse de la durabilité des pratiques. Cette étude sur 5 ans, menée par la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC), vise à mieux comprendre les comportements de la population à l'égard de l'environnement et à identifier des pistes d'actions concrètes. Dans ce cadre, les pratiques de mobilité des ménages vaudois seront intégrées au calcul de leur bilan carbone afin d’affiner encore les résultats.

Des villes peuplées de personnes seules
L'étude révèle un autre fait intéressant: les ménages composés d'une seule personne représentent la plus grande part des résidences dans les villes vaudoises, avec 43% du total des logements, suivis par les ménages composés de deux adultes, 26%, les ménages de deux adultes avec un ou plusieurs enfants, 18%, les ménages de trois adultes ou plus, 9%, et les ménages monoparentaux, 4%. Les ménages d’une seule personne vivent dans les bâtiments les plus anciens et les plus urbanisés du canton. Ces personnes disposent de la plus grande surface habitable par résident et ont la plus forte demande énergétique et les émissions opérationnelles les plus élevées.

Ces ménages résident généralement dans des bâtiments construits entre 1940 et 1960, avec une surface habitable médiane de 60 mètres carrés par résident et une demande énergétique annuelle de 8200 kWh. À titre de comparaison, la «Société à 2000 watts» prévoit une consommation énergétique annuelle moyenne liée au logement de 3900 kWh par habitant. Or, les ménages d'une seule personne sont le groupe démographique qui connaît la plus forte croissance en Suisse. Pour la chercheuse Ankita Singhvi, ils représentent donc une opportunité stratégique pour innover, techniquement et socialement, dans le domaine du logement afin d’atteindre les objectifs climatiques fixés d’ici à 2050.
Financement

Office fédéral suisse de l'énergie dans le cadre du consortium SWEET SURE

Références

Ankita Singhvi, Mikhail Sirenko, Aristide Athanassiadis, Claudia R. Binder, “Mapping operational and embodied emissions in relation to household and ownership profiles with bottom-up building stock analysis: The case of Vaud, Switzerland“, volume 221, July 2025.

https://doi.org/10.1016/j.resconrec.2025.108431