Habiter autrement

Tiago P. Borges est architecte et doctorant à l'EPFL. © 2024 EPFL / Alain Herzog

Tiago P. Borges est architecte et doctorant à l'EPFL. © 2024 EPFL / Alain Herzog

Il est possible d'habiter des lieux moins conventionnels, à l'exemple des serres, rappelle Tiago P. Borges, architecte et doctorant au Laboratoire d'architecture élémentaire et d'étude des types (EAST), dans cette chronique parue dans trois quotidiens romands.

Certains épisodes de l’histoire récente ont eu un impact important sur notre expérience de l'espace domestique. En Europe, pendant la pandémie de Covid-19, nous avons passé plus de temps et en plus grand nombre à l'intérieur, superposant les tâches domestiques à d'autres actions qui, normalement, ne partagent pas les mêmes lieux. L'espace domestique a été le théâtre de conflits entre les fonctions et les usages, entre conventions et pragmatisme.

En 1985, l'architecte Jacques Hondelatte et le groupe Épinard Bleu ont adressé ces questions dans un article nommé «Exorcisme pour la liberté d'usage» paru dans L’Architecture Aujourd’hui. Le texte s'attaque à la dominance des conventions dans les espaces domestiques. Hondelatte se confie: «J'aimerais bien habiter le Taj Mahal, la tour de Pise, la Statue de la Liberté — et se demande — habiterait-on mieux ce qui n'est pas fait pour être habité?» L’auteur critique surtout la rigidité des fonctions et des aprioris qui sacrifient la liberté d'habiter. Pour y remédier, il propose: «Pas de chambre, de séjour, pas de salle de bains, pas de prédétermination des lieux de sommeil, de travail, de repas», et préconise une architecture qui valorise l’atmosphère des lieux plutôt que la fonction des pièces.

Surélévation d’un immeuble avec une serre en toiture. La serre devient un espace collectif à usages indéterminés. Construction de cinq logements et réhabilitation d’une maison ouvrière, France (Pantin), 2020. Plan Commun © Javier Agustin Rojas

Bien plus qu’une pièce supplémentaire

C’était entre températures chaudes et odeurs florales qu’au 17e siècle, l’architecture est allée chercher à la botanique un artefact capable de générer ce type de solutions: les serres. Installées comme des extensions des maisons, elles sont devenues de véritables espaces sociaux — pensons à l’Exposition Universelle de 1851 au Crystal Palace, la serre «XXL» de Joseph Paxton. La serre se déracine de son contexte colonial pendant que l’espace domestique s'émancipe. Sous l'impulsion de l'industrie du fer et du verre, elle s'est alors développée, jusqu'à son oubli au début du 20e siècle.

La serre resurgit comme un dispositif low-cost et low-tech d’énergie passive par excellence.

Tiago P. Borges

Il y a 50 ans, avec la crise énergétique des années 1970 et l’émergence des mouvements écologiques, l'architecture a récupéré la serre comme terrain d'expérimentation et d’innovation. Certains y voyaient l’opportunité de vivre en synergie avec les plantes, d’autres y trouvaient des économies de ressources. La serre resurgit comme un dispositif low-cost et low-tech d’énergie passive par excellence. Adossée au logement, elle offre une pièce supplémentaire, peu contraignante, un espace libre d’usages et chauffé par le soleil. En tant qu’exemple d’architecture moins normative, la serre propose ainsi un espace complémentaire au binôme intérieur-extérieur, une pièce rythmée par les saisons qui mérite notre attention. Un lieu où habiter autrement.

Une serre comme espace de vie d’un ensemble de logements. Dix-huit logements à Rixheim, France, 2021. Lacaton & Vassal. © Philippe Ruault

Tiago P. Borges, architecte et doctorant au Laboratoire d'architecture élémentaire et d'étude des types (EAST), EPFL

  • Cette chronique est parue en avril 2024 dans le magazine HABITAT des quotidiens La Côte (Vaud), Le Nouvelliste (Valais) et Arcinfo (Neuchâtel). Elle s’inscrit dans le cadre d'un partenariat avec le groupe de presse ESH Médias visant à faire connaître la recherche et l'innovation de l'EPFL dans le secteur de la construction auprès du grand public.