Frankentext : un atelier réunit six écrivains italiens et l'IA

© 2025 EPFL/Virginie Martin

© 2025 EPFL/Virginie Martin

En mai 2025, l’écrivaine italienne Caterina Serra a réuni un groupe d’écrivain·es italien·nes à l’EPFL pour un atelier d’une semaine visant à créer une œuvre littéraire à l’aide de l’IA générative.

Les auteurs et autrices – Daniela Cascella, Fumettibrutti, Lorenzo Iervolino, Djarah Kan, Federico Appino et Caterina Serra – ont passé une semaine à l’EPFL et à la fondation Jan Michalski afin d’explorer les différentes possibilités de l’IA générative. Iels ont notamment rédigé des prompts et collaboré avec Tammara Leites, une artiste, développeuse et interaction designer qui travaille sur des projets liés à l’utilisation créative de l’IA.

Caterina Serra a conçu et coordonné ce projet en lien avec le Collège des humanités de l’EPFL, grâce au soutien de son directeur Frédéric Kaplan, qui souhaitait travailler à l'intersection de la littérature et de l'intelligence artificielle. Cette expérience immersive d’une semaine a permis aux six auteurs et autrices d’utiliser l’IA, de discuter des effets produits par l’interaction entre le processus créatif et le numérique, sur la réalité et sur les mondes sur lesquels et dans lesquels ils écrivent.

« J’ai puisé l’inspiration dans l’expérience de la Villa Diodati, en 1816 », explique Caterina Serra, faisant référence à ce fameux été où Lord Byron, le Dr. John Polidori, Mary Shelley, Percy Bysshe Shelley et Claire Clairmont ont séjourné dans la villa genevoise en s’y racontant des histoires d’horreur. De ce séjour sont notamment nés les romans Frankenstein de Mary Shelley et The Vampyre de John Plidori.

Caterina Serra poursuit : « L’idée était d'avoir une expérience réelle, concrète et matérielle avec quelque chose qui n'est pas apparemment physique, comme l'intelligence artificielle. Je pensais qu’il était important pour nous, en cette période, de faire l'expérience réelle de l'écriture de manière incarnée. J’ai choisi cinq autres écrivain·es aux styles, âges et identités différentes. Il est probable que la seule chose que nous ayons en commun est l’idée que l’écriture influe sur la réalité. Je dirais que c’est un acte politique. »

L’atelier s’est déroulé en italien pour servir de modèle monolingue adaptable à d’autres contextes linguistiques en vue d’une expansion future. Au départ, l’idée était que chaque écrivain travaille sur sa propre œuvre afin d’aboutir à une collection hybride explorant la relation entre l’écriture et la technologie. Cependant, une fois l’atelier commencé, le groupe a décidé de travailler ensemble et a passé près d’une demi-heure à collaborer à l’élaboration d’un prompt pour Chat GPT.

« C’est en travaillant sur ce thème que les choses ont commencé à devenir plus intéressantes pour nous », a expliqué Daniela Cascella lors de la conférence de clôture. Après la semaine, elle ajoute : « Je me sens beaucoup plus confiante dans ce que je peux faire en tant qu’écrivaine ».

« Au départ, je pensais que l’IA allait me prendre mon travail, mais après avoir travaillé avec, elle m’a donné encore plus confiance en ma propre écriture parce que l’IA ne peut pas faire ce que je fais », a ajouté Djarah Kan.

En effet, le reste du groupe s’est fait l’écho de cette opinion selon laquelle, bien que certains aspects du programme d’IA générative soient impressionnants, iels ne considèrent pas qu’il ait le potentiel de créer de la littérature ou des documents de réflexion critique. Fumettibrutti, qui écrit des romans graphiques, n’a pas été impressionnée, car Chat GPT a censuré son travail et n’a pas été en mesure de produire quoi que ce soit qui y ressemble de près ou de loin.

Avant l’atelier, aucun des auteurs et autrices n’avait travaillé avec l’IA générative. Caterina Serra, pour se préparer à diriger le groupe, a utilisé différents programmes de LLM (Large Language Model), lu des livres et des articles à propos de l’intelligence artificielle tout comme des articles traitant de questions économiques et politiques.

Bien que Serra ait également trouvé que le contenu produit par Chat GPT comportait de nombreuses lacunes, elle a trouvé que travailler avec l’IA générative était « séduisant, en tant que produit d’une forme capitaliste d’addiction ». Le groupe appelait parfois la machine « cara » ou « amore ». Et comme tout le monde travaillait en italien, iels utilisait des pronoms sexués - il ou elle - pour désigner le programme, comme s’il s’agissait d’une personne, anthropomorphisant ainsi la machine.

« Nous avons beaucoup discuté de “l’humanité” de l’IA, car nous nous attendons à ce que la machine produise quelque chose d’humain. Mais c’est une erreur ; c’est notre parti pris, notre approche peut-être trop naïve d’embrasser la technologie comme quelque chose qui doit être accepté tel qu’elle vient à nous. Si un chatbot raconte une histoire sur le monde, avec quel regard le fait-il ? Avec quelle éthique, avec quel soin ? Ma conception de la littérature passe par les émotions, par l’esprit critique, la liberté d’expression et prend souvent beaucoup de temps qui est aussi fait de temps de non-écriture. Elle n’est pas un produit, mais un acte, souvent un acte de révolution ».

Traduit de l'anglais par Yohann Guffroy et Virginie Martin


Auteur: Stephanie Parker

Source: Collège des humanités | CDH

Ce contenu est distribué sous les termes de la licence Creative Commons CC BY-SA 4.0. Vous pouvez reprendre librement les textes, vidéos et images y figurant à condition de créditer l’auteur de l’œuvre, et de ne pas restreindre son utilisation. Pour les illustrations ne contenant pas la mention CC BY-SA, l’autorisation de l’auteur est nécessaire.