Faut-il abandonner le camembert ? (dans les présentations)
SÉRIE D’ÉTÉ – Projet de semestre (8). Dans le cadre d’un cours d’analyse critique des données, trois étudiantes ont réalisé une BD de vulgarisation sur les biais de perception aussi pertinente que drôle.
C’est l’histoire de deux producteurs de fromages qui ont un accident de charrue. Témoin, Raymonde, la septantaine bien sonnée, a fait les comptes : les charrettes à chevaux, contrairement aux charrettes à bœufs, se retrouvent toujours dans les accidents et la situation empire chaque année. Tendance qu’elle justifie à l’aide de diagrammes en camembert. Pas si vite, rétorque Hugues, de la même génération et peu friand de la pâte molle normande. La présentation en fromages de Raymonde masque le fait que les accidents sont graduellement en baisse et que les charrettes à bœufs tendent à disparaître des routes…
L’anecdote est relatée sous la forme d’une planche de bande joliment dessinée, pleine d’humour et non moins didactique. Elle est le fruit du travail effectué par deux étudiantes de l’EPFL et une du Ceruleum, une école d’arts visuels à Lausanne, dans le cadre du cours d’analyse critique des données, proposé conjointement par l’EPFL et l’UNIL. Nicole Vadot d’abord, étudiante de master en physique. Elle est une fan de visualisation des données. Depuis quelques semestres déjà, elle peaufine les graphiques sur ses rapports de labo tout en dévorant la littérature sur les méthodes pour faire mentir les graphes. Zineb Agnaou, ensuite, qui poursuit un master en mathématiques appliquées. Elle s'intéresse aux statistiques et notamment à la présentation de résultats d'études. Enfin Blandine Moulin, étudiante de bachelor en illustration et BD, qui a mis à disposition ses talents de dessinatrice et son regard de profane. « J’adore dessiner les petites mémés », confesse-t-elle avec tendresse.
Mordant sur les heures de loisir et les semaines de vacances, les étudiantes ont produit en tout trois petites histoires, publiées en ligne sous le nom d’Abradatabra. « Nous espérons apporter un peu de clarté sur la bonne interprétation et la réalisation d'un graphique afin de représenter les résultats de la meilleure façon possible », avance Zineb. « Notre but est d’offrir une boite à outil largement accessible pour affuter son esprit critique en matière de visualisation des données », complète Nicole. On peut en effet rester au niveau des petites histoires de camembert, de potion magique et de propagande électoraliste dosées à la louche de 50% de didactique et 50% d’humour.
Mais sur le site web, on peut également trouver les détails des graphes, accessibles et à code source ouvert sur GitHub, des pièges tendus par les présentations graphiques ainsi que des conseils pour ne pas tomber dedans. On plonge alors dans le décodage des trucs de manipulation : axes inversés, confusion entre valeurs absolues et relatives, biais d’extrapolation, échantillons trop petits, corrélations bidons, pentes trompeuses, omission de données et autres valeurs cachées. D’où la question fondamentale posée par les étudiantes : faut-il abandonner le camembert ? (Dans les présentations, pas avant le dessert. S’il est fermier.)