«Face aux maladies infectieuses, nous restons vulnérables»
Professeure de microbiologie à l’EPFL, Melanie Blokesch rappelle à la lumière de la crise du COVID-19 que, même si nous l’avons quelque peu oublié, le risque d’épidémie reste important dans nos sociétés et qu’il est nécessaire de mieux nous préparer à de futurs épisodes du même genre.
Que nous apprend cette crise du COVID-19 sur les risques actuels de pandémie? Professeure à l’EPFL, Melanie Blokesch dirige le Laboratoire de microbiologie infectieuse. Avec son équipe, elle étudie les facteurs environnementaux du développement des bactéries pathogènes et plus particulièrement Vibrio cholerae, l’organisme responsable du choléra. Elle nous rappelle que le risque d’épidémie reste élevé et que nous devons mieux nous préparer à de futures éruptions.
- Quel est pour vous l’aspect le plus surprenant de cette crise?
Nous n’avions pas vu une pandémie de cette ampleur depuis longtemps. La dernière à laquelle on pense en général est la grippe espagnole de 1918-19, qui a fait près de 50 millions de victimes. Lorsque je prends cet exemple dans mes cours, les étudiants sont toujours frappés par les courbes d’espérance de vie, qui chutent drastiquement en raison de cette grippe en 1918. Bien que nous sachions qu’une telle éruption était possible, nous n’y étions pas vraiment préparés. C’est pourquoi le plus surprenant, maintenant, c’est de voir que certains pays sont réactifs et veulent agir vite, tandis que d’autres hésitent à prendre des mesures fortes. Il est aussi intéressant d’observer les individus, certains étant déterminés à rester confinés et d’autres continuant à sortir sans trop se soucier des risques d’infection pour eux ou pour les autres. Ces différences influenceront bien sûr fortement la manière dont la pandémie évoluera.
- Précisément, comment peut-on en prévoir l’évolution?
Les épidémiologistes ont des outils pour faire des prédictions et ainsi guider les stratégies d’intervention. Ils peuvent par exemple analyser les mouvements des personnes en se basant sur leur lieu de vie ou en suivant les téléphones portables - de manière anonyme. En intégrant ensuite ces données dans les modèles et y ajoutant certains paramètres, comme le degré de contagion, la durée de l’infection, etc, on peut retracer la diffusion de la maladie de personne à personne, comme ici, ou, dans le cas du choléra, d’une personne à une source d’eau puis à une autre personne. Ces modèles ont une certaine marge d’erreur, surtout dans un cas comme celui du COVID-19, où nous manquons encore d’informations sur l’infectiosité ou le mode de transmission, mais ils donnent des estimations fiables sur la progression de la maladie et les endroits où de nouvelles éruptions sont possibles. De plus, dans le cas du coronavirus, nous avons l’avantage de pouvoir observer comment la situation a évolué en Italie.
- A quoi devrons faire attention une fois que la situation s’améliore?
Tout d’abord, nous devons attendre que le nombre de cas diminue. Puis, nous pourrons commencer à ressortir et reprendre des activités, mais lentement et de manière contrôlée. Il est très important que nous nous dotions de moyens de dépistage fiables et étendus, afin que tout nouveau cas puisse être pris en charge et des mesures prises rapidement pour l’isoler et identifier les personnes qui ont été en contact avec lui. Nous devrons garder un œil très attentif sur cette maladie jusqu’à ce qu’il y ait des traitements à disposition pour les cas les plus sévères, puis finalement un vaccin. Mais le développer et en tester la sécurité prend du temps.
- Nous parlons évidemment beaucoup de ce virus, mais est-ce la seule pandémie en cours?
Il y a actuellement plusieurs pandémies, dont nous ignorons tout ici en Europe. Nous sommes par exemple depuis les années soixante au cœur de la 7e éruption de choléra. Près de cinq millions de personnes sont infectées et quelque 100'000 individus en meurent chaque année. Cela est peu connu dans les pays développés parce que les gens ne sont pas directement affectés. Personnellement, je trouve cela extrêmement important et c’est pourquoi mon groupe étudie l’évolution de ce pathogène et sa transmission, de son milieu marin aux humains.
- Qu’est-ce que le coronavirus vous apprend en tant que biologiste ?
Cela nous montre à quel point nous restons vulnérables et négligeons le risque des maladies infectieuses, alors que beaucoup d’entre nous s’inquiètent de maux non transmissibles, comme le cancer, les maladies neurodégénératives ou la crise cardiaque. La raison en est certainement les incroyables progrès en matière sanitaire auxquels nous avons assistés dans les pays industrialisés au cours des dernières décennies, comme les stratégies extensives de vaccination, ainsi que l‘efficacité des traitements aux antibiotiques - elle-même compromise par la résistance croissante des bactéries. D’un point de vue plus général, cette pandémie nous en dit long sur les impacts des migrations, de l’urbanisation et de la déforestation, et comment ces phénomènes contribuent à l’émergence de nouveaux virus en passant d’animaux sauvages aux êtres humains. Nous devons mieux nous préparer à ce genre d’événements, car clairement, cet épisode ne sera pas le dernier.»