Fabrication modulable de peignes de fréquences optiques intégrés

Photographie montrant des centaines de lasers à semi-conducteurs et microrésonateurs en nitrure de silicium (crédit: Chao Xiang, UCSB)

Photographie montrant des centaines de lasers à semi-conducteurs et microrésonateurs en nitrure de silicium (crédit: Chao Xiang, UCSB)

L’EPFL et l’UCSB ont mis au point une technologie CMOS – utilisée pour la fabrication de microprocesseurs et de puces mémoire –attendue depuis longtemps, qui permet la fabrication de peignes de fréquences optiques sur puce à l’échelle de la tranche.

Les peignes de fréquences optiques comprennent des fréquences lumineuses constituées de lignes laser équidistantes. Ils ont déjà révolutionné les domaines de la métrologie des fréquences, du chronométrage et de la spectroscopie. La découverte des «micropeignes à solitons» par le laboratoire du professeur Tobias Kippenberg à l’EPFL au cours de la dernière décennie a permis de créer des peignes de fréquences sur puce. Dans ce schéma, un laser à fréquence unique est converti en impulsions ultracourtes appelées solitons de Kerr dissipatifs.

Les micropeignes à solitons sont des peignes de fréquences à l’échelle de la puce. Ils sont compacts, consomment peu d’énergie et présentent une large bande passante. Combinés à l’espacement important des «dents» des peignes, les micropeignes sont particulièrement adaptés à un grand nombre d’applications, telles que la communication cohérente en térabits par seconde dans les centres de données, l’étalonnage des spectromètres astronomiques pour la recherche d’exoplanètes et l’informatique neuromorphique, les horloges atomiques optiques, la synthèse de fréquence absolue et le LiDAR cohérent parallèle.

Pourtant, l’intégration des sources laser constitue un défi de taille. Alors que les micropeignes sont créés sur puce par conversion de fréquence paramétrique (deux photons d’une fréquence sont annihilés et une paire de deux nouveaux photons est créée à une fréquence supérieure et inférieure), les lasers de pompage sont généralement hors puce et encombrants. L’intégration de micropeignes et de lasers sur la même puce peut permettre la production en grand volume de micropeignes à solitons au moyen de techniques CMOS bien établies, développées pour la photonique au silicium, mais cela représente un défi exceptionnel depuis une dizaine d’années.

Pour les microrésonateurs optiques non linéaires, où se forment les micropeignes à solitons, le nitrure de silicium (Si3N4) s’est imposé comme la principale plateforme en raison de sa perte ultrafaible, de sa large fenêtre de transparence allant du visible à l’infrarouge moyen, de l’absence d’absorption à deux photons et de sa capacité de traitement de puissance élevée. Mais la réalisation de microrésonateurs Si3N4 à très faible perte reste insuffisante pour la production en grand volume de micropeignes à solitons à l’échelle de la puce, car il faut intégrer des lasers de commande à l’échelle de la puce.

Il y a quinze ans, le laboratoire du professeur John Bowers à l’UCSB a été le premier à mettre au point une méthode d’intégration de lasers à semi-conducteurs sur une tranche de silicium. Le silicium ayant une bande interdite indirecte et ne pouvant pas émettre de lumière, les scientifiques collent des semi-conducteurs en phosphure d’indium sur des tranches de silicium pour former des sections de gain laser. Cette technologie laser d’intégration hétérogène est désormais très répandue pour les interconnexions optiques afin de remplacer les fils de cuivre qui reliaient les serveurs dans les centres de données. Cette technologie laser transformatrice est déjà commercialisée, et Intel expédie des millions d’émetteurs-récepteurs chaque année.

Dans un article publié dans Science, les deux laboratoires de l’EPFL et de l’UCSB démontrent aujourd’hui la première intégration hétérogène de circuits intégrés photoniques Si3N4 à très faible perte (fabriqués à l’EPFL) et de lasers à semi-conducteurs (fabriqués à l’UCSB) au moyen de techniques CMOS à l’échelle de la tranche.

Cette méthode repose principalement sur le collage de plusieurs tranches de silicium et de phosphure d’indium sur le substrat Si3N4. Des lasers à rétroaction distribuée (DFB) sont fabriqués sur les couches de silicium et de phosphure d’indium. La sortie à fréquence unique d’un laser DFB est transmise à un microrésonateur Si3N4 situé en dessous, où le laser DFB déclenche la formation de micropeignes à solitons et crée des dizaines de nouvelles lignes de fréquence.

Schéma illustrant l'intégration hétérogène de nitrure de silicium, de silicium et de phosphure d'indium. Crédit : J. Liu (EPFL)

Ce processus hétérogène à l’échelle de la tranche peut produire plus d’un millier de dispositifs à micropeignes à solitons à l’échelle de la puce à partir d’une seule tranche de 100 mm de diamètre, ce qui est adapté à une fabrication au niveau commercial. Chaque appareil est entièrement contrôlé électriquement. Chose importante, le niveau de production peut être étendu aux substrats standard de l’industrie de 200 ou 300 mm de diamètre.

«Notre technologie de fabrication hétérogène combine les trois principales plateformes photoniques intégrées, c’est-à-dire le silicium, le phosphate d’indium et le Si3N4. Elle peut ouvrir la voie à la fabrication en grand volume et à faible coût de peignes de fréquences basés sur des puces pour les émetteurs-récepteurs haute capacité de prochaine génération, les centres de données, la détection et la métrologie», explique le docteur Junqiu Liu, qui dirige la fabrication du Si3N4 au Centre de micronanotechnologie (CMi) de l’EPFL.

Financement

Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS)

Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA)

Références

C. Xiang, J. Liu, J. Guo, L. Chang, R. N. Wang, W. Weng, J. Peters, W. Xie, Z. Zhang, J. Riemensberger, J. Selvidge, T. J. Kippenberg, and J. E. Bowers, “Laser soliton microcombs heterogeneously integrated on silicon”, Science 01 July 2021.