«Explorer d'autres angles de vue fait mieux voir la beauté du monde»

© Adrien Buttier/EPFL

© Adrien Buttier/EPFL

Raphaël Liégeois est l’un des nouveaux astronautes de carrière de l’Agence spatiale européenne (ESA). Il a été sélectionné parmi plus de 22'000 candidatures dans toute l’Europe. De nationalité belge, ce jeune chercheur travaille depuis cinq ans en neurosciences à l’EPFL. Portrait, à quelques jours du début de sa formation en Allemagne.


Il va certainement, un jour, embarquer dans une fusée pour la Station spatiale internationale (ISS). Et il n’est pas totalement exclu, même si peu probable, qu’il pose même le pied sur la Lune, voire sur Mars. Des perspectives qui pourraient faire tourner la tête… Pourtant, lorsqu’on le rencontre, Raphaël Liégeois frappe par son côté posé, calme, chaleureux et par son humilité.

«Séjourner sur l’ISS, à 400 km de la surface terrestre, est déjà tellement incroyable… Alors l’idée d’aller un jour plus loin encore a quelque chose de totalement irréel, et de très difficile à imaginer», réagit-il quand on lui demande ce que lui fait la possibilité de fouler un jour le sol de notre satellite naturel.

Rêver en grand devant les animations de
l'expo "Cosmos Archeology" à EPFL Pavilions.
©A.Buttier/EPFL

Ce Belge de 35 ans, collaborateur scientifique depuis 5 ans au Laboratoire de traitement d'images médicales (MIPLAB), que l’EPFL partage avec L’Université de Genève au campus Biotech, a été sélectionné pour devenir astronaute professionnel de l’Agence spatiale européenne (ESA). Il a été choisi parmi plus de 22'000 candidats et candidates dans toute l’Europe, au terme d’un processus qui aura duré 18 mois. De plus, parmi les 17 élus et élues de ce recrutement - le premier depuis 13 ans -, seulement cinq seront des astronautes de carrière, les autres étant des réservistes. Il y a également un astronaute porteur d’un handicap.

S’il est attiré depuis l’enfance par les étoiles et le spatial, ses premiers choix de jeune adulte iront plutôt vers les neurosciences. Mais entre les deux domaines, les points communs ne manquent pas: «C’est la Science de manière globale qui m’intéresse, explique-t-il. J’ai souhaité étudier le cerveau, car c’est non seulement un organe complexe et fascinant, mais aussi, de tout le corps, celui que l’on connaît le moins, qui reste encore vraiment à explorer». Tout comme l’espace…

Après des études de biomédecine à Paris, Raphaël Liégeois colle à son nom en faisant une thèse à l’Université de Liège. «J’y décrypte les mécanismes qui sous-tendent la conscience chez l’être humain et propose des modèles mathématiques de l’activité cérébrale permettant de mieux interpréter les données d’imagerie provenant de patients dans différents états de conscience», décrit-il en 2014 dans la présentation de son travail à l’occasion du concours «Ma thèse en 180 secondes».

A la force du mollet

Diplôme en poche, il part s’établir avec son épouse, qui est également dans le monde scientifique, à Singapour, où il fait son post-doc. Après deux ans, le temps du retour en Belgique est venu. Et le couple décide d’en faire une véritable aventure, en parcourant les quelque 6000 km qui les séparent de Namur en… vélos. «Un moment qui restera parmi des plus marquants de ma vie», commente le nouvel astronaute. C’est un gigantesque voyage, qui leur prendra environ 4 mois et passera par une douzaine de pays, dont la Malaisie, la Thaïlande, le Laos, le Vietnam, le Népal, l’Inde, l’Iran, la Grèce, l’Italie, la France et enfin la Belgique. Tout au long de leur chemin, ces deux jeunes passionnés de poésie réalisent une série de dix vidéos consacrées chacune à une région, à ses coutumes et à la rencontre d’un poète ou d’une poétesse du cru.

L'arriveé à Namur, Belgique, après un voyage de 6000 km. ©Skuds-S.Fusillier

Raphaël Liégeois a en fait un vrai profil d’explorateur. Aussi bien sur terre, avec cet incroyable voyage à deux-roues, que dans les airs, puisqu’il est un fervent pilote de montgolfière, de ballon à gaz et de planeur, ou encore en mer, où il pratique volontiers la plongée sous-marine et la navigation à voile. Et c’est sans aucun doute l’un des aspects de sa personnalité qui l’aura fait sortir du lot des milliers d’autres aspirants et aspirantes astronautes. Car venir chatouiller les franges de ses capacités et avoir une expérience de certains milieux «limite» est un atout indéniable.

«C’est vrai, je suis très curieux et aime découvrir, explorer, adopter des points de vue différents pour mieux prendre conscience de la beauté des choses qui nous entourent. Un peu à l’image du professeur incarné par Robin Williams dans le film «Le Cercle des poètes disparus», qui monte sur la table pour montrer à ses élèves qu’un simple changement d’angle fait déjà voir le monde autrement.»

Sa table à lui, c’est indéniablement la Science. Même s’il l’appelle autrement: «C’est une porte, une véritable porte d’entrée vers la connaissance et l’exploration du monde. Et en plus d’être intéressant et utile, l’emprunter est aussi souvent très amusant !»

Au-delà de l’atmosphère

Et à n’en pas douter, se former à tous les aspects de ce nouveau métier et à la vie en microgravité, puis un jour se propulser au-delà de l’atmosphère, dans le vide spatial et voir l’immensité de la Terre tourner sous ses pieds aura - et largement - de quoi satisfaire sa recherche de points de vue inédits et nourrir sa curiosité… Et aussi peut-être lui donner quelques craintes?

Durant la cérémonie d'annonce de la classe 2022 des nouveaux astronautes de l'ESA, en octobre 2022. ©ESA

«C’est impressionnant, bien sûr, mais je ne ressens pas de peur, répond le futur astronaute. Je suis courageux, mais pas téméraire. Je sais mesurer les risques. Un ami m’a dit récemment: «En fait, tu ne recherches pas l’adrénaline, mais l’aventure», et c’est très juste.»

Après cinq ans passés en Suisse, c’est non sans un pincement au cœur – car il a « beaucoup aimé vivre dans la région» - que Raphaël Liégeois quittera la région avec son épouse et ses deux enfants. Mais c’est évidemment plein d’étoiles dans la tête qu’il s’apprête à rejoindre le Centre européen des astronautes situé à Cologne, en Allemagne, où il suivra une formation sur plusieurs années. Si tout se passe bien, il pourrait être envoyé pour un premier vol et un séjour sur l’ISS entre 2026 et 2031.