Expliquer à quel moment le cerveau prend conscience de l'information

© 2020 EPFL

© 2020 EPFL

Pour les scientifiques de l’EPFL, de brefs moments de conscience seraient précédés de périodes de traitement inconscient de l’information permettant son intégration par le cerveau.

Lorsque nous regardons un film ou que nous écoutons un orchestre, nous avons l’impression de percevoir les images et les sons sous la forme d’un flux continu d’informations. Pourtant, d’après une nouvelle étude, le cerveau ne rendrait les informations conscientes qu’à certains moments, précédés d’intervalles de traitement inconscient pouvant durer jusqu’à une demi-seconde.

Ce modèle, détaillé dans la revue Trends in Cognitive Sciences, alimente un débat ancien sur la façon dont la conscience s’éveille et offre une nouvelle vision de la manière dont le cerveau prend conscience de l’information.

L’expérience de la réalité

La question du moment où s’éveille la conscience fascine les philosophes, les psychologues et les neuroscientifiques depuis des siècles. D’après l’une des hypothèses, la conscience serait un flux continu de percepts. «Lorsque nous sommes à vélo, nous sentons que nous nous déplaçons à chaque instant,» explique Michael Herzog, directeur du Laboratoire de psychophysique de la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL, qui a dirigé cette nouvelle étude. Toutefois, cette théorie se heurte à de sérieuses limites. En effet, les études ont démontré que si un point rouge s’affiche sur un écran pendant une fraction de seconde, puis qu’il est suivi d’un point vert au même endroit pendant un autre bref instant, la personne ne perçoit qu’un seul point jaune. Si l’hypothèse d’une conscience continue était vraie, l’individu percevrait d’abord le point rouge puis le point vert, indique Herzog. «Mais ce n’est pas le cas, on fusionne les points pour ne voir qu’un point jaune» constate-t-il.

Une autre hypothèse veut que la conscience apparaisse uniquement à certains instants distincts, comme un appareil-photo qui prendrait des instantanés. Mais cette idée est également controversée: d’après Michael Herzog, si notre cerveau traitait les informations toutes les demi-secondes, il serait impossible de réaliser des tâches aussi simples que faire du vélo.

En analysant les données d’études antérieures visant à déterminer si la conscience est continue, Michael Herzog et son équipe ont élaboré un nouveau modèle, selon lequel le cerveau traite et intègre les informations presque en continu pendant des intervalles d’inconscience qui durent jusqu’à 500 millisecondes. Pendant ce temps, le cerveau traite les différents éléments d’une scène et les analyse dans différentes régions. Certaines zones du cerveau étudient les couleurs, d’autres la forme et la position des objets. Ces régions cérébrales partagent ensuite les informations et combinent les différents aspects, puis, lorsque le traitement inconscient est terminé, l’expérience consciente de ce qui se trouve devant nous se révèle.

«Jusqu’à maintenant, certains pensaient que lorsque nous regardons le monde, nous ne voyions qu’une série d’images. Mais à présent, nous affirmons que l’unité de perception que le cerveau analyse n’est pas une image, mais une scène complète intégrant des aspects tels que le mouvement», explique Michael Herzog. C’est comme si le cerveau stockait des courts métrages pendant des périodes de traitement inconscient puis rappelait les informations pendant les moments conscients, ajoute-t-il.

Le chercheur admet ne pas vraiment savoir comment les multiples unités de perception sont assemblées dans le cerveau, par exemple lorsque nous écoutons une symphonie. Il reconnaît aussi que ce nouveau modèle est plutôt contre-intuitif, car il est en contradiction avec le sentiment que le monde se dévoile en continu devant nos yeux. En contrepartie, il fournit une vision utile de la manière dont les personnes vivent la réalité. «Nous devons modifier notre vision de la perception», explique-t-il.

Ce nouveau modèle pourrait aussi ouvrir la voie à la manipulation de la manière dont le cerveau perçoit les informations. Pendant les intervalles de traitement inconscient, lorsque les détails sur le monde qui nous entoure sont stockés dans le cerveau, il est possible de les modifier à l’aide de techniques contrôlant l’activité cérébrale par des impulsions magnétiques, indique Michael Herzog.

Par la suite, son équipe prévoit de rechercher comment les intervalles de traitement inconscient sont déclenchés et stoppés, et d’étudier si le stress ou d’autres facteurs environnementaux peuvent influencer leur durée.

Références

https://doi.org/10.1016/j.tics.2020.07.001


Auteur: Giorgia Guglielmi

Source: EPFL