Établir objectivement le lien entre démence et inactivité physique

Charlyne Bürki s’est penchée sur le lien entre la démence et l’inactivité physique. ©Alain Herzog/EPFL
PROJET ETUDIANT - Charlyne Bürki s’est penchée sur le lien entre la démence et l’inactivité physique. La comparaison d’études subjectives et objectives lui a apporté quelques surprises et une certitude.
Dans la vie, êtes-vous plutôt une personne active ? À combien estimez-vous votre nombre de pas quotidiens ? Votre temps d’activité journalière ? L’intensité de cette activité ? Répondez sans regarder sur votre montre ou téléphone bien sûr ! Quantifier l’exercice n’est pas évident, surtout si on essaie de remonter à quelques jours, quelques mois voire quelques années. Pourtant, des décennies d’études ont dû se baser sur les réponses des participantes et participants à des questionnaires d’auto-évaluation. C’est ainsi que l’on a établi un lien entre le développement de la démence et l’inactivité physique, qui pourrait compter pour quelque 3% de risques. Ils font partie des facteurs que l’on appelle modifiables, soit liés au comportement, en opposition aux risques génétiques qui comptent pour environ 65%.
C’est peu, certes. « Mais potentiellement, ce chiffre pourrait être beaucoup plus important », avance Charlyne Bürki. Elle vient de terminer sa thèse de master qui compare la robustesse des études subjectives et les données fournies par des études objectives issues de mesures. « On possède aujourd’hui des outils technologiques pour extraire des données objectives et il vaudrait la peine de les exploiter », résume l’étudiante en ingénierie des sciences du vivant.
Charlyne avait goûté au sujet lors d’un projet de semestre dans le Laboratoire d’épidémiologie digitale, dirigé par Marcel Salathé. Elle y avait étudié la glycémie dans le sang, en rapport avec l’alimentation et l’activité physique. « L’approche de Marcel Salathé m’avait séduite, car elle prend en compte le fait que l’on dispose aujourd’hui des technologies nécessaires pour suivre en continu et de manière non invasive l’activité physique et les paramètres physiologiques d’une personne - avec une montre connectée ou des appareils de contrôle de la glycémie en continu. Je la trouvais beaucoup plus objective que de demander a posteriori aux personnes sondées de se souvenir de leur taux d’activité physique passée. »
Une motivation personnelle
Pour sa thèse de master, Charlyne s’est donc penchée sur le lien entre l’inactivité physique et la démence. Le sujet la touche personnellement. « Dans ma famille, il y a une forte prévalence d’Alzheimer. Ma grand-mère en est actuellement atteinte et j’ai pu voir l’impact que la maladie a aussi sur les proches. En outre, on sait que les démences frappent davantage les femmes que les hommes. Et j’ai deux sœurs… »
La double nationale, Suisse et Américaine, choisit de mener cette exploration à la Harvard Medical School durant six mois. « À travers les études rétroactives, on observe qu’une certaine forme de sédentarité pourrait avoir un lien avec le développement de démence ou des habiletés cognitives », précise-t-elle. C’est ce constat qu’elle va mettre à l’épreuve en exploitant des études objectives. Elle les puise dans la UK Biobank, une cohorte qui regroupe les données médicales et génétiques d’un demi-million de personnes au Royaume-Uni, recrutées entre 2007 et 2010. « Parmi ces personnes, 100 000, âgées entre 45 et 79 ans, avaient porté un accéléromètre durant une semaine environ 5 ans après avoir été recrutées, ce qui a donné de la robustesse à mon projet. »
Première surprise : sur cette population on trouve très peu de cas de démence, quel que soit le degré d’activité physique. Y a-t-il un biais de sélection ? « Peut-être, car on voit aussi que ce sont des personnes plus éduquées. Mais tous les facteurs sont liés entre eux et il est très difficile de décorréler les facteurs modifiables (non génétiques). Par exemple, on ne peut pas dire si les personnes sont préservées par le fait d’avoir fait des études supérieures ou d’exercer un emploi qui demande plus de réflexion sur le long terme. »
Mais ce n’est pas tout. Les volontaires ont aussi répondu à un questionnaire a posteriori qui révèle que les participants sont plus sédentaires qu’ils ne le rapportent. « En moyenne, l’accéléromètre a mesuré deux heures et demie de plus de sédentarité par jour que ce qu’ils ont noté. » Si elles n’arrivent pas à évaluer correctement leur temps d’activité, ces personnes n’ont pas pour autant été inactives. Toutefois, la définition de l’activité physique reste floue et particulièrement dans sa capacité à préserver de la démence. À quel âge faudrait-il en faire ? Avec quelle intensité ? À quelle fréquence ? « Il est difficile d’isoler ce facteur, surtout quand on sait que l’hypertension, le diabète ou l’obésité sont aussi des précurseurs de la démence et qu’ils sont fortement liés au manque d’activité physique. »
Un bon équilibre
« L’intérêt de ma thèse est donc de questionner la validité des études subjectives et de montrer qu’il faut mener des études privilégiant des mesures objectives », insiste la jeune ingénieure. On a aujourd’hui les moyens d’établir de véritables liens entre les facteurs modifiables et le développement de la démence. Avec une population vieillissante, il est essentiel de le faire afin de pouvoir mettre en place des mesures préventives pertinentes dans le but de réduire les coûts de la santé. »
Pour Charlyne, la prochaine étape sera de publier sa thèse, étape qui demande encore un travail de corrections et de réécriture. Et après ? Elle entend poursuivre un doctorat à l’ETH Zurich pour se spécialiser dans l’exploitation des données médicales et l’utilisation des technologies embarquées. Tourner ainsi la page EPFL et américaine ? « Je suis à l’EPFL depuis 2015 et j’ai envie de voir autre chose », justifie-t-elle. Quant à son expérience américaine, « je suis contente d’y être allée, mais je ne suis pas sûre que ce soit de bonnes conditions pour un doctorat. L’équilibre entre vie privée et professionnelle est très important pour moi et je pense qu’il est mieux garanti en Suisse qu’aux États-Unis. J’y retournerai un jour, qui sait ».