« Enseigner, c'est du service civil pour la communauté »
En 2021, Dragan Damjanovic a été élu meilleur enseignant de la section des matériaux. Après avoir passé plus de trente ans à l’EPFL, le scientifique prend sa retraite. L’occasion de revenir avec lui sur ce qui lui tient le plus à cœur : la formation.
Les murs de son bureau sont couverts de posters de cristaux de toutes les couleurs. Son préféré ? Une proustite sur calcite. « Je l’aime, car il est bicolore. Il y a cette dualité ». Dragan Damjanovic, directeur du groupe des ferroélectriques et des oxydes fonctionnels de la faculté des sciences et techniques de l’ingénieur, a obtenu le prix du meilleur enseignant de la section des matériaux. La plus belle consécration qu’il puisse recevoir avant son départ à la retraite.
Une histoire derrière chaque matériau
Depuis son arrivée à l’EPFL en 1991, Dragan Damjanovic a toujours estimé son devoir d’éducation comme une priorité, bien plus que les recherches qu’il a menées. « Pour moi, l’enseignement se révèle très important. Je considère qu’il s’agit d’un service civil pour la communauté. » Quand il introduit un nouveau matériau à ses étudiants, Dragan Damjanovic tente systématiquement de le replacer dans un contexte social et géopolitique afin de rendre son sujet intéressant et contribuer à la culture générale des ingénieurs. « Une histoire se cache derrière chaque composant électronique. Il m’est important d’expliquer d’où proviennent ces matériaux et quels sont les enjeux liés à leur utilisation. Par exemple, le lithium des batteries de voitures se trouve dans des mines de Bolivie et cela a un impact direct sur la politique du pays. Les étudiants doivent savoir ce genre de chose quand ils emploieront différents matériaux ».
Repenser sa manière d’enseigner
Avec la crise du coronavirus et les cours en ligne, celui qui se considère plutôt de la vieille école — avec tableau noir et craie — a dû repenser l’intégralité de sa manière de travailler. « Cette période s’est révélée très difficile, notamment pour les étudiants. J’ai alors décidé de plus m’impliquer afin qu’ils traversent cette crise au mieux. » Dragan Damjanovic a passé ses week-ends à enregistrer ses leçons, puis a consacré ses heures d’enseignement à répondre aux questions des étudiants. « Je suis heureux de constater qu’ils ont remarqué mes efforts. Et je suis encore plus touché par les retours des doctorants quant à l’évaluation de mon cours doctoral. Chacun a pris le temps de me laisser un commentaire. »
Un parcours semé d’échecs
Le professeur regrette néanmoins que les étudiants de l’EPFL ne soient pas mieux préparés au parcours académique qui les attend. « Quand ils sont encore au gymnase, on leur fait miroiter des découvertes fantastiques qui se déroulent dans les laboratoires, mais la recherche, ça n’est pas cela. Il s’agit d’un travail très dur et souvent rébarbatif. » Tellement rude que les échecs font partie du quotidien des scientifiques. Dragan Damjanovic considère avoir dû les enchaîner pour en arriver là. D’ailleurs, il peut passer plusieurs jours bloqué sur l’écriture d’un paragraphe. « Le fait que la science a toujours été ma vocation m’a sauvé. J’aime profondément ce que je fais. » Plus qu’une vocation, la science s’est aussi révélée son meilleur moyen d’expression dans un monde où il s’est parfois senti incompris.
Lire pour savoir écrire
Quand il ne mène pas ses recherches, Dragan Damjanovic passe le plus clair de son temps parmi les livres. « Je lis tout ce qu’il me tombe entre les mains. Je pense que pour savoir écrire un article scientifique ou une thèse, il faut avoir lu d’autres choses. Cela nous aide à mieux nous exprimer, comprendre le monde qui nous entoure et l’expliquer. » En ce moment, il dévore des romans d’autrices croates qui lui ouvrent l’esprit « sur les vraies gens et le point de vue des femmes ». Il recommande aussi l’autobiographie du physicien Richard Feynman qu’il considère comme un bel exemple de vulgarisation scientifique.
Bien que les posters de cristaux n’habilleront bientôt plus les murs de son bureau, Dragan Damjanovic ne compte pas quitter l’univers de la science définitivement. Il part passer un an en Allemagne pour continuer ses recherches. Seulement après cela, il posera ses valises en Suisse pour profiter de sa retraite.