«Enseigner aide à mieux communiquer sur notre matière»
Engagée dans la promotion de la science, notamment auprès des femmes, la professeure Clémence Corminboeuf a été désignée meilleure enseignante de la section de chimie et génie chimique.
Depuis le début de son parcours scolaire, Clémence Corminboeuf apprécie l’exercice cérébral imposé par les mathématiques et la physique. «J’ai eu de l’intérêt pour la science très jeune, peut-être que mon père ingénieur a eu une influence indirecte, même si mes parents ne se sont jamais immiscés dans mes choix.» Libre, jamais découragée par son entourage, la responsable du laboratoire de design moléculaire computationnel a donc foncé, avec une vision très claire de son plan de carrière: devenir chercheuse. La seule hésitation est venue du choix entre la physique et la chimie. Elle a finalement opté pour la chimie quantique, branche la plus physique de la chimie.
La professeure apprécie transmettre cette matière complexe aux étudiants, comme s’impliquer pour la promotion de la science. Pour la qualité de son enseignement et son engagement, Clémence Corminboeuf a reçu cette année le prix de la meilleure enseignante de la section de chimie et génie chimique. «Pourtant mon cours n’est pas vraiment apprécié car il est très compliqué», sourit la professeure qui introduit les notions de base de chimie quantique dans le cadre du cours de chimie générale avancée I. Pour ne pas traumatiser les étudiants dès leur premier semestre à l’EPFL, la chimiste essaye de savamment équilibrer le niveau de difficulté et de mélanger concepts et exercices quantitatifs. «Pour être sûre qu’ils ont bien compris la matière, je leur demande de rédiger, à la fin des chapitres les plus abstraits d’un point de vue conceptuel, un résumé d’une demi-page de ce qu’ils ont appris et cela fonctionne de mieux en mieux.»
Encourager la mise en pratique
Au semestre de printemps, Clémence Corminboeuf forme aussi les étudiants de Master aux méthodes computationnelles en lien avec la chimie organique. «Ces méthodes permettent de modéliser des réactions chimiques et de développer des modèles informatiques pour résoudre des problèmes chimiques. Le machine learning par exemple a ouvert de nouveaux champs de recherche en résolvant des problèmes jusqu’alors insolubles.» En parallèle, la professeure ouvre les portes de son laboratoire aux étudiants en dernière année de Bachelor, en leur proposant de réaliser en binôme un projet de recherche en chimie computationnelle. Une opportunité encore rare pour les étudiants de Bachelor d’expérimenter leurs acquis théoriques. «J’aime bien discuter avec les étudiants, voir leur façon de raisonner. Et enseigner aide aussi à mieux communiquer sur notre matière.»
Clémence Corminboeuf s’est consacrée à la chimie computationnelle dès son projet de Master en chimie théorique. Pour cette docteure des Universités de Dresde et de Genève, ce domaine devient très vite une passion. Dans ses recherches actuelles, elle applique notamment les méthodes de chimie quantique pour identifier de meilleurs catalyseurs pour la transformation du CO2 en produits utiles à notre quotidien. Et pour élaborer des semi-conducteurs organiques qui sont par la suite incorporés dans les nouvelles générations de cellules solaires.
Promouvoir les femmes
La scientifique évolue dans un domaine encore très masculin, puisqu’elles ne sont que trois professeures en chimie à l’EPFL, dont deux tenure track. «J’ai été formée et soutenue par des hommes et je ne me suis jamais sentie discriminée. Mais il est vrai que plus je suis montée en grade, plus je me suis rendue compte de ce qu’était le old men club.» Afin de mettre fin à cette hégémonie masculine, Clémence Corminboeuf s’engage donc particulièrement pour encourager les femmes à effectuer une carrière scientifique. Elle intervient régulièrement dans les classes, anime des ateliers, organise un camp d’été pour les gymnasiens, fait du coaching et du mentoring pour les chercheuses au début de leur carrière. «Au niveau de l’école primaire, filles et garçons présentent le même intérêt pour la science, c’est après que l’écart se creuse. Pour changer ces mécanismes, il faudrait aussi coacher les hommes.»
Mère de deux filles, âgées de 5 et 10 ans, la professeure se dit pour sa part chanceuse d’avoir toujours été soutenue par son mari, rencontré aux Etats-Unis dans le cadre de son postdoctorat. Il est Américain, il l’a suivie en Suisse. «C’est moi qui ne voulait pas quitter les États-Unis car j’avais un doute qu’il s’adapte en Suisse», lance-t-elle en rigolant. En 2007, engagée à l’EPFL comme professeure assistante tenure track, elle a dû faire face au problème de «dual-career». Avec son mari, ils s’entraident donc l’un, l’autre, se relayent pour s’occuper de leurs enfants. «C’est la clé pour réussir, car l’organisation de la société suisse est encore peu adaptée aux femmes qui souhaitent faire carrière». Mais Clémence Corminboeuf voit l’amorce de changements et elle espère qu’à l’avenir toujours plus de filles deviendront des scientifiques reconnues.