En ville, les arbres ne sont pas toujours une solution miracle

PROJET DE MASTER - Donato Kofel a calculé les effets positifs et négatifs des arbres sur la qualité de l’air dans le canton de Genève. Sa méthodologie pourrait aider les urbanistes à mieux gérer la plantation d’arbres en ville.


Durant ses études en sciences et ingénierie de l’environnement à l’EPFL, Donato Kofel a développé une passion pour les «systèmes d’information géographique», issus de la tradition séculaire de la cartographie. «Ce genre de cartes permet de transmettre beaucoup d’informations en une seule image et de les rendre accessibles de manière immédiate à beaucoup de monde», explique l’ingénieur. L’étudiant décide donc de développer pour son travail de master une nouvelle manière d’appliquer cette approche pour analyser comment les arbres interragissent sur la qualité de l’air dans le canton de Genève. Une étude qui s’inscrit dans le projet de recherche Urbtrees, mené à plus large échelle par trois laboratoires de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC): le Laboratoire des environnements extrêmes, dirigé par Julia Schmale, le Laboratoire d’écologie végétale, dirigé par Charlotte Grossiord et l’Atelier de la conception de l’espace, co-dirigé par Dieter Dietz et Daniel Zamarbide.

Effets positifs et négatifs

Tout est parti de l’existence d’un inventaire cantonal répertoriant quelque 240'000 arbres dits «isolés», c'est-à-dire qui ne font pas partie d'une forêt, à l’exemple des arbres des rues et des parcs du domaine public. L’inventaire, qui représente environ 25% des arbres du canton, comprend leur localisation, leur espèce, ainsi que divers paramètres physiologiques, dont la largeur et la hauteur de leur tronc et le diamètre de leur canopée. «Avec autant de données, il était possible de créer des cartes basées sur la «surface de feuilles totale» des arbres et donc, d’estimer leur capacité à filtrer les particules fines», détaille l’ingénieur. En parallèle de cette caractéristique écologique des arbres, Donato Kofel s’intéresse à un autre phénomène: leur contribution à la formation et au dépôt d’ozone, un polluant nocif pour la santé et l’environnement.

Découvrir que, sous certaines conditions, les arbres n’avaient pas qu’un effet bénéfique sur la qualité de l’air m’a beaucoup intéressé et surpris.

Donato Kofel, Diplômé en Sciences et ingénierie de l'environnement, EPFL

Car les arbres émettent naturellement des composés organiques volatils biologiques (COVB) dont la production dépend de plusieurs facteurs: l’espèce, la température, l’humidité, la lumière ou d’autres formes de stress, telles que les blessures physiques. Ces COVB peuvent ensuite former de l’ozone en réagissant photochimiquement avec d’autres composés atmosphériques oxydants émis par des activités humaines. Donato a ainsi estimé le potentiel de formation d'ozone des émissions des arbres: «Découvrir que, sous certaines conditions, les arbres n’avaient pas qu’un effet bénéfique sur la qualité de l’air m’a beaucoup intéressé et surpris», note le diplômé.

L'étudiant démarre donc son travail de master en compilant une vaste littérature axée sur les 51 espèces d’arbres les plus courantes du canton de Genève, afin de leur attribuer des facteurs d'émissions de COVB par heure. L’étudiant apprend que certaines espèces de chêne, qui est le genre le plus répandu dans les rues et parcs du canton, ont des facteurs d’émission de COVB parmi les plus élevés de toutes les espèces, et, donc, un haut potentiel de formation d’ozone. Avec une autre étudiante de l’EPFL, Romana Paganini, et le collaborateur scientifique Ilann Bourgeois, Donato intègre l’inventaire des arbres isolés dans un modèle en open source, i-Tree Eco, pour estimer la quantité de particules fines et d'ozone filtrée par les arbres chaque année, afin de souligner l'effet positif des arbres urbains.

Un quart de particules fines filtrées

Ses résultats indiquent, en quelques cartes, que les arbres des villes genevoises permettraient de retirer au maximum 25% des particules fines émises par les activités humaines dans le canton de Genève en 2014, selon le cadastre des émissions romand (CADERO). Une autre carte indique que ces arbres auraient un potentiel de formation d'ozone environ dix fois plus élevé que leur capacité à capter l'ozone de l'atmosphère. Enfin, les arbres possèdent un taux d’émissions de COVB d’environ 130 tonnes, ce qui correspond, en comparaison, à environ 18% des composés organiques volatils annuels émis par le trafic routier. Les résultats montrent que les activités humaines émettent suffisamment d'oxydes d'azote pour que les réactions chimiques qui entraînent la formation d’ozone se produisent. En d'autres termes, il est possible de réduire l’ozone causée par les arbres en réduisant les émissions humaines d'oxydes d'azote, qui entrent aussi en réaction avec les COVB.

Pour moi, le problème de la pollution de l’air doit être traité à la source, avec le trafic routier et d’autres sources d’émissions.

Donato Kofel, Diplômé en Sciences et ingénierie de l'environnement, EPFL

Pas toujours une solution miracle

Le bilan des arbres en ville sur la qualité de l’air reste donc mitigé, lorsque la combinaison avec les émissions anthropiques peut entraîner une pollution atmosphérique supplémentaire. Donato Kofel suggère une étude plus approfondie du sujet: «Ces estimations ont des incertitudes que je m’efforce actuellement d’éliminer. Nous n'avons pas non plus pris en compte le potentiel de formation de particules à partir des COVB.» Le diplômé ajoute encore: «À ce stade, mon travail permet de voir que les arbres pourraient jouer un rôle important pour la qualité de l’air en ville, mais qu’ils ne sont pas une solution miracle dans toutes les conditions. Pour moi, le problème de la pollution de l’air doit être traité à la source, avec le trafic routier et d’autres sources d’émissions.» L’ingénieur précise qu’une fois qu’il aura affiné ses chiffres, ses cartes pourront aider les urbanistes à identifier les espèces les plus adaptées aux espaces publics pour contribuer à améliorer la qualité de l’air dans les quartiers urbains les plus exposés à la pollution.

Transmettre son travail aux autorités compétentes du canton de Genève a beaucoup motivé l’étudiant qui a eu l’occasion de présenter ses résultats et sa méthodologie à deux reprises au Service de l'air, du bruit et des rayonnements non ionisants de l’Office cantonal de l’environnement. Le diplômé prépare également une publication scientifique sur la base de son projet de master.

Références

Donato Kofel, URBTREES – Quantifying and mapping the impact of urban trees on air quality in Geneva, Switzerland, co-dirigé par Ilann Bourgeois et Julia Schmale, EPFL, janvier 2023.