«En première année, on n'est pas encore sur des ‘rails' académiques»
C’est un prof de chimie chaotique qui a poussé Jérôme Waser à étudier cette matière. Aujourd’hui, le meilleur enseignant 2024 de la section chimie et génie chimique de l’EPFL s’inspire de la créativité des plus jeunes.
Si Jérôme Waser était germanophone, il répondrait «Jein» - à savoir «oui et non» - à la question suivante: «Êtes-vous heureux d’avoir été désigné meilleur enseignant 2024 de la section chimie et génie chimique de l’EPFL?» Certes, le professeur ordinaire au Laboratoire de catalyse et synthèse organique (LCSO) se dit «bien évidemment très flatté» par cette récompense. Il se demande néanmoins si ce prix n’est pas «assorti d’un risque, celui que la qualité de mes cours se mette à plafonner.»
Un tout nouveau langage
Le Valaisan l’avoue volontiers, il n’est pas un «enseignant spontané.» Ses cours, il les prépare, il les peaufine, il les améliore d’année en année. Pour ce faire, il s’appuie sur les retours de ses étudiants. «J’organise davantage de séances de feedbacks que ce qui nous est demandé par l’établissement, et plus tôt dans le semestre, surtout lorsqu’ils portent sur un nouvel enseignement et qu’ils concernent les étudiantes et étudiants de première année.»
Jérôme Waser s’explique: «Pour la majorité des jeunes qui débarquent à l’EPFL, la chimie organique – que j’enseigne au niveau bachelor dans le contexte des cours de chimie générale avancée – est un tout nouveau langage, beaucoup moins mathématique que les autres domaines des sciences.» Pour rappel, la chimie organique est la branche consacrée à l’étude des molécules contenant du carbone. «Elle comporte de nombreuses exceptions, ce qui a le don de troubler, voire d’exaspérer, certains étudiants et étudiantes et de la rendre particulièrement difficile à transmettre.» Il conclut: «Il s’agit d’une discipline très polarisante ; on l’aime beaucoup… ou pas du tout.»
Heureusement, le professeur peut s’appuyer dans ses enseignements sur une équipe motivée – «et motivante !» - d’assistantes et assistants. « C’est un peu comme un team auquel trois parties doivent participer pour que le cours fonctionne : enseignant- assistants- étudiants.»
Au-delà de la compréhension
Revenant sur les enseignements de premier cycle, Jérôme Waser souligne que « même si se remettre dans la peau d’un étudiant de première année constitue un sacré défi », il en retire un plaisir non négligeable. « À ce stade des études, tout est encore ouvert, on n’est pas encore sur des ‘rails’ académiques. Les premières années « remettent tout en question, sont particulièrement créatifs. » Le responsable du LCSO s’inspire volontiers de cet état d’esprit pour ses recherches.
Son propre goût pour la chimie, ce n’est pas un enseignant hyper motivant qui l’a insufflé à Jérôme Waser, au contraire. «Lorsque j’étais au gymnase, mes profs de physique et de biologie avaient des cours bien plus logiquement structurés – et mieux compréhensibles - que mon prof de chimie.» Au moment de choisir sa voie académique, le jeune passionné de sciences naturelles a néanmoins opté pour un bachelor en chimie, qui lui paraissait offrir une combinaison idéale, «davantage de compréhension que la biologie, moins de maths que la physique.»
Un stage industriel chez Lonza et un stage académique à l’ETH Zurich plus tard, il s’est découvert des affinités avec la chimie organique, «qui permet de créer plutôt que de se ‘contenter’ de comprendre». Il tire un parallèle avec son caractère: «J’aime bien le concret, le réel, ce qui est palpable. Si on devait diviser la société en deux catégories, les ‘actifs’ et les ‘parleurs’, j’appartiendrais définitivement à la première.»
Rôles modèles et conditions-cadres
L’enseignement est entré dans la vie du professeur alors qu’il effectuait son doctorat à l’ETH Zurich, consacré au développement de nouvelles méthodes catalytiques pour l’introduction d’azote dans les molécules organiques. «Je dispensais les travaux pratiques, donnais des cours d’appui aux étudiantes et étudiants en pharmacie et supervisais les travaux en laboratoire.» Quelques années plus tard, après un passage par l’Université de Standford dans le cadre de son postdoc, il rejoint l’EPFL. «Après deux semaines déjà, on m’a attribué ma première charge de cours,» se souvient-il.
Plus de quinze ans se sont écoulés. Dans la salle de cours de Jérôme Waser, les étudiants se sont succédé avec régularité et «une certaine stabilité», observe-t-il. Le taux de réussite aux examens, par exemple, est resté inchangé à environ 50%. «Même la pandémie de Covid-19 n’a pas perturbé le niveau», se réjouit-il. Moins réjouissant est le constat que «même si le pourcentage de jeunes femmes – soit 55% - dépasse désormais celui des jeunes hommes en première année, leur part persiste à baisser au fil du parcours académique, pour chuter à environ 25% à l’échelle du postdoc.» Dans ce contexte, «les rôles modèles conservent toute leur importance, tout comme de bonnes conditions-cadres».
Gare à l’attentisme
Certes, la stabilité a du bon. Elle ne saurait néanmoins servir d’excuse à l’attentisme. Avant même qu’on lui ait annoncé qu’il était le lauréat du prix du meilleur enseignant de sa section, le professeur du LCSO entreprenait de revoir son programme de cours. «J’ai notamment décidé d’intensifier les références à la chimie verte, ainsi que de davantage mettre en avant les applications quotidiennes de la chimie organique.» Sont notamment évoqués en cours les cas des arômes, des odeurs, des aliments, des médicaments, des produits ménagers ou encore de la pollution. Éviter de plafonner, encore et toujours.