« En discutant d'un problème, on commence à le résoudre »

Jürgen Brugger cultive l’écoute active, le dialogue et il ne cesse de se questionner. © 2025 EPFL / Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0
Professeur de microtechnique, Jürgen Brugger est le lauréat de l’EPFL Award for Best Teaching. Il a notamment mis en place un format qui montre aux étudiantes et étudiants le pouvoir de la discussion et de l’échange pour apprendre.
Lorsqu’il évoque ses cours ou le travail pratique en salle blanche, Jürgen Brugger parle d’ingrédients, de cuisine et de mélange bien dosé pour donner le goût d’apprendre. Le professeur de microtechnique à l’EPFL se décrit d’ailleurs comme un expérimentateur. C’est ce qui lui plaît dans l’ingénierie, tester, tenter de comprendre comment les choses fonctionnent, celles qui sont visibles et invisibles à l’œil nu. Spécialiste des nanotechnologies, il a découvert le monde de l’incroyablement petit durant ses études à Neuchâtel, en faisant un job étudiant dans une entreprise qui fabriquait des micropuces. Aujourd’hui, il se penche sur la fabrication de microsystèmes « avec des techniques reproductibles, bon marché et moins polluantes. Ces technologies peuvent par exemple être utilisées pour créer des capteurs ou des implants médicaux. »
Engagé à l’EPFL il y a plus de 25 ans, le responsable du Laboratoire de microsystèmes a pas mal tâtonné avant de trouver la recette d’un enseignement réussi, celui qui parvient à captiver tout en apportant la bonne infusion de savoir. Il se souvient encore parfaitement de son premier cours. « Tout à coup, il y avait 150 paires d’yeux qui me fixaient. J’étais nerveux, je n’avais jamais enseigné devant une grande classe comme ça. En tant que chercheur, j’avais plutôt l’habitude de parler à des expertes et experts. Je me suis alors rappelé que j’appréciais chez mes professeurs lorsqu’ils transmettaient leur passion de manière vivante. Je me suis fié à mon intuition, et j’ai beaucoup pris en compte les retours des étudiantes et étudiants, c’est ce qui m’a formé et m’a permis d’adapter mon cours. »
Je crois que le plus grand changement en vingt ans, c’est qu’on n’est plus là pour transmettre l’information, car tout est disponible en ligne, mais on est là pour l’organiser, la mettre dans la bonne constellation. On a un rôle similaire au curateur d’une exposition.
Parler et sortir de sa bulle
Partisan de Socrate, Jürgen Brugger cultive l’écoute active, le dialogue et il ne cesse de se questionner. « Parfois, en regardant les examens, je me dis : pourquoi ils n’ont pas bien répondu ? Peut-être qu’ils n’ont pas assez étudié, mais peut-être aussi que j’ai mal expliqué quelque chose dans le cours. » Son objectif ? Donner aux étudiantes et étudiants les moyens d’apprendre par eux-mêmes. « Je crois que le plus grand changement en vingt ans, c’est qu’on n’est plus là pour transmettre l’information, car tout est disponible en ligne, mais on est là pour l’organiser, la mettre dans la bonne constellation. On a un rôle similaire au curateur d’une exposition. »
Après tout, conserver l’attention d’une centaine de personnes représente aussi une forme d’art. Le fil rouge de son enseignement ? Mêler discussions et mise en pratique, puis parsemer le tout d’anecdotes. « Je raconte beaucoup d’histoires, car ça ancre la matière, et tout à coup tout le monde écoute », raconte le physicien qui a travaillé comme chercheur chez IBM et à l’Université de Twente avant de venir à l’EPFL. Ensuite, il s’agit de donner la parole aux étudiantes et étudiants. C’est pourquoi il a mis place les student led tutorials. Un format d’échanges en petits groupes découvert lors d’un congé sabbatique à l’Université technique d’Eindhoven. La classe est divisée en groupes de 15-20 personnes qui reçoivent des exercices et des questions à préparer pour la semaine suivante. Le jour J, les groupes sont répartis dans différentes salles sous la houlette d’une ou d’un assistant-doctorant, et un étudiant ou une étudiante est choisie au hasard pour présenter ses solutions et engager une discussion avec le reste du groupe.
«Le but est que tout le monde ait fait cet exercice. Il peut même arriver qu’une personne passe deux fois, donc il faut être préparé pour chaque session. Les étudiantes et étudiants sont notés (ndlr : cela représente 25% de la note finale) mais c’est plus la participation, l’engagement qui compte que les solutions elles-mêmes. En discutant entre eux, ils se stimulent, ils apprennent mutuellement et ça les fait sortir de leur bulle. Ça les force aussi à venir sur le campus, à se concentrer sur une seule chose. Je vois que beaucoup de jeunes ont souvent de la peine à s’exprimer, mais c’est très important pour comprendre. »
Une manière aussi de s’éloigner de sa tablette, de son smartphone ou encore de ChatGPT. « Il est primordial de maintenir des interactions, de réfléchir entre humains. Je crois que, si on commence à discuter d’un problème, on a déjà commencé à le résoudre.»
Toucher pour apprendre
Finalement, le physicien attache aussi une grande importance à la pratique. « L’aspect haptique, manuel, ça influence l’apprentissage. Pour moi, c’est important. Peut-être parce que je fais de la musique. » Joueur de contrebasse, il a longtemps fait partie d’un orchestre. « Dans la physique comme dans la musique, il faut savoir explorer, ressentir le système. » Actuellement, il supervise un projet de doctorat en sciences de l’apprentissage qui teste l’utilisation de lunettes de réalité virtuelle en salle blanche. Les étudiantes et étudiants voient leur environnement et des informations clés les guident suivant ce qu’ils doivent manipuler. « Cette année nous avons environ 80 étudiantes et étudiants volontaires qui vont tester ce système. Notre objectif est d’analyser si cela permet de mieux apprendre des processus compliqués. Je dis toujours, une salle blanche, c’est comme une grande cuisine, vous avez beaucoup d’outils, de matériel, vous devez mettre tout ceci ensemble pour cuisiner quelque chose qui fonctionne. » Dans sa recherche comme dans son enseignement, Jürgen Brugger fuit l’insipide comme le trop épicé et, en sa qualité d’expérimentateur, il ne cesse d’améliorer son assaisonnement.