En architecture, minceur rime parfois avec danger

Image: Claudio Núñez sous une licence CC BY-SA 2.0
Confrontés au choix entre des constructions plus sûres ou moins chères, bon nombre de sociétés immobilières situées dans des pays en développement ayant un risque sismique élevé se voient obligées d’économiser sur les coûts du matériel de construction. Résultat : les bâtiments sont moins sûrs. Des ingénieurs en structures de l’EPFL ont collecté de nouvelles données sur la façon dont ces structures réagissent lors de tremblements de terre et dans quelles conditions elles pourraient lâcher.
Les tremblements de terre ne sont jamais les uniques responsables du nombre élevé de morts. Les ravages parmi la population sont plutôt dus au manque de résistance des infrastructures et des bâtiments. En 2010, le Chili a été le théâtre de l’un des plus violents tremblements de terre jamais enregistrés et de nombreux édifices ont été endommagés car leurs murs, bien qu’en béton armé, étaient trop minces. Aujourd’hui encore, certains pays latino-américains voient s’élever de plus en plus de structures dont les parois sont encore plus fines. Récemment, des ingénieurs de l’EPFL ont évalué la stabilité de murs fins en béton armé pour analyser leurs défaillances ; leurs découvertes ont été publiées dans le Bulletin of Earthquake Engineering.
Pour comprendre comment les structures dont les parois sont très fines se comportent dans les tremblements de terre, João Almeida et Angelica Rosso, deux des auteurs de l’étude, ont testé deux segments muraux similaires à ceux qui sont utilisés dans les projets d’habitations à loyers modérés (HLM) de certains pays sud-américains : 80 millimètres d’épaisseur pour une surface de 2 par 2,7 mètres. Pour simuler l’impact d’un épisode sismique sur ces structures, les scientifiques ont fixé les pans de murs au sol du laboratoire et les ont actionnés avec cinq vérins assez puissants pour faire lentement ployer les murs dans un mouvement de va-et-vient dans différentes directions. En ralentissant le processus, les chercheurs ont eu le temps de regarder s’étendre les dommages et de comprendre comment les fissures se propageaient sur le mur et finissaient par le déstabiliser.
« Les données que nous avons collectées au cours de notre expérience sont uniques », annonce Katrin Beyer, chercheuse principale de l’étude. « Pour la première fois, nous disposons de mesures détaillées de ce que l’on appelle une rupture de mur hors plan, soit lorsque la structure du mur est définitivement déformée perpendiculairement à sa surface. » Selon la scientifique, les conditions d’étude ont également permis d’observer pour la première fois des déplacements plus importants que l’épaisseur du mur elle-même. A la fin du test, les armatures étaient pliées et le béton s’effritait dans l’un des coins de la structure. Grâce à une batterie de capteurs, caméras et jauges de contrainte, les scientifiques ont été capables de capturer et d’analyser chaque mouvement ayant progressivement conduit à l’effondrement du mur.
Pour résister à un tremblement de terre, la structure d’un bâtiment doit être assez malléable pour surmonter les vibrations provoquées par les vagues sismiques. Cependant, comme la conception parasismique est plus coûteuse et requiert une plus grande expertise, les bâtiments des parties les plus pauvres des pays émergents et en développement sont le plus souvent construites avec des standards inférieurs. Le tremblement de terre survenu en 2010 au Chili est un bon exemple de cette pratique : une enquête plus approfondie des unités de logement qui se sont effondrées a révélé que leurs murs en béton armé ne respectaient souvent pas les recommandations du code de construction chilien.
Une dangereuse lacune
Katrin Beyer explique que c’est justement une lacune dans ce code qui a rendu possible la construction de ces murs : il suffit simplement à un ingénieur d’estimer que les fines parois sont suffisamment robustes et le projet peut aller de l’avant. « Une solution réelle consisterait à imposer plus strictement le code de construction tout en le renforçant davantage dans les pays sujets aux tremblements de terre », propose la chercheuse. Si rien n’est fait, cette lacune subsistera.
Plutôt que de se concentrer sur le Chili, les scientifiques se sont intéressés à la Colombie, pays voisin affichant un risque sismique moins élevé mais néanmoins dangereux. Sur place, la demande est élevée pour les HLM de hauteur moyenne à élevée avec des murs en béton armé. Mais quand bien même les ingénieurs colombiens sont conscients des risques sismiques, l’octroi des permis de construire ne reflète pas toujours cette réalité. Enfin, comme le béton et les barres de renforcement constituent l’essentiel des coûts de construction, les constructeurs optent souvent pour des murs plus fins encore – certains font parfois la moitié de l’épaisseur des murs chiliens.
Un devoir de partage
« Puisque nous avons la chance d’avoir accès à des infrastructures de recherche aussi performantes, il est de notre devoir de mettre nos données à disposition de la communauté scientifique afin que les chercheurs et les ingénieurs de la planète puissent en exploiter les résultats », signale Katrin Beyer. Récemment, son équipe ainsi que les partenaires colombiens de l’Université del Valle à Cali, de l’Ecole d’ingénierie à Antioquia et de l’Université de Medellín ont reçu une seconde tranche de financement. Cela leur permettra d’améliorer encore leur compréhension des comportements structurels des bâtiments et d’étudier des approches rentables visant à stabiliser le construit existant, c’est-à-dire ces fins murs en béton armé.
Ce projet a partiellement bénéficié d’un financement Seed Money octroyé par le Centre de coopération et développement de l’EPFL (CODEV). La subvention a été attribuée au Groupe d’ingénierie des tremblements de terre et de dynamique structurelle de l’EPFL et, en Colombie, à l’Ecole d’ingénierie d’Antioquia et à l’Université de Medellín.