Du nouveau dans l'assemblage de molécules

© 2013 EPFL

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Des scientifiques de l’EPFL ont développé une méthode simple et rapide pour connecter et emboîter de nouvelles molécules, offrant des perspectives inédites à la chimie synthétique, à la science des matériaux et à la biologie chimique, sans oublier la synthèse de médicaments.

Les thiols sont des molécules soufrées que l’on trouve dans la plupart des protéines du corps humain. Leur fort parfum aillé donne au café, à la transpiration et aux sécrétions des sconses leur odeur si particulière. L’omniprésence des thiols en biologie, médecine et science des matériaux leur confère un attrait considérable lorsqu’il s’agit de connecter des médicaments ou polymères entre eux, pour autant qu’ils aient pu être associés au préalable à un groupe chimique servant d’adaptateur vers d’autres molécules. Les alcynes font partie de ces « adaptateurs » prisés, car ils se révèlent de puissants atouts en matière de bioconjuguaison. Or, l’ajout d’alcynes aux thiols ou « alcynation » était jusqu’ici trop complexe pour être pratiqué hors laboratoire. Une publication du Journal of the American Chemical Society en instance d’être brevetée explique néanmoins que des chercheurs de l’EPFL ont découvert comment effectuer ce type de connexion en cinq minutes et à température ambiante, ouvrant la voie à des applications commerciales et médicales, voire industrielles.

L’alcynation des thiols appartient à la chimie modulaire, aussi appelée « chimie clic ». Ce domaine très vaste touche à la fois la fabrication de médicaments, les nanotechnologies et la bio-ingénierie. L’idée consiste à synthétiser de grandes molécules en en emboîtant de plus petites afin de modifier des molécules complexes autrefois inaccessibles. Bien que cette branche soit relativement nouvelle, la « chimie clic » s’inspire de processus naturels. Une fois synthétisées dans les cellules, les protéines sont en effet transformées plus avant par des hydrates de carbone et des lipides qui changent leurs propriétés. Ce processus, connu sous le nom de modifications post-traductionnelles, implique toute une série d’enzymes complexes pouvant être contournées en laboratoire au moyen de la chimie clic.

L’équipe de Jerôme Waser de l’EPFL est parvenue à provoquer une alcynation en utilisant un réactif de transfert appelé triIsopropylsilyle-éthynyle-benziodioxole (TIPS-EBX), qu’elle a commercialisé en collaboration avec Sigma-Aldrich. Ces scientifiques ont en effet compris que les alcynations étaient jusqu’ici bridées par des taux de réaction trop lents, et qu’elles avaient besoin d’un catalyseur d’or relativement instable. Le TIPS-EBX a permis aux chercheurs de l’EPFL de réaliser une alcynation de thiols dans un temps très court, et ce sans utiliser le moindre catalyseur métallique.

Le TIPS-EBX est une poudre microcristalline (comme le sucre) hautement réactive qui est dissoute dans un liquide pour former une solution. Elle permet aux alcynes et aux thiols de s’emboîter facilement lorsqu’elle se mélange avec eux. En raison de sa structure, le TIPS-EBX est également beaucoup plus stable que les réactifs utilisés précédemment. Mais le bénéfice premier de cette trouvaille réside dans la possibilité de pratiquer une alcynation de thiols en cinq minutes seulement, à l’air libre et à température ambiante (23°C). Résultat, ces transformations autrefois fastidieuses peuvent désormais s’effectuer en toute rapidité et sécurité dans des conditions usuelles.

Pourtant, si les thiols sont cruciaux pour élaborer les blocs nécessaires à la synthèse de produits naturels, pharmaceutiques ou médicinaux, ils contiennent également des composants chimiques capables de faire obstacle aux réactions d’alcynation. Afin de confirmer sa méthode, l’équipe de Waser l’a testée sur une série de thiols contenant les groupes chimiques les plus réactifs et répandus dans les molécules bioactives. 29 des 35 thiols évalués ont produit un rendement supérieur à 92%, ce qui confirme que la réaction TIPS-EBX peut être appliquée sur un large éventail d’entre eux – y compris sur les thiols des protéines humaines. De quoi modifier en profondeur la biotechnologie telle que nous la connaissons. Comme l’explique Waser: « L’introduction d’un alcyne dans des molécules contenant des thiols permet de les modifier plus avant afin de créer de futurs bioconjugués. »

Cette découverte fondamentale aura des répercussions importantes sur des domaines tels que la biologie chimique, la synthèse de médicaments et les sciences des matériaux. Suite à leur alcynation concluante d’un acide aminé de cystéine, les chercheurs de l’EPFL testent désormais leur méthode brevetée sur des protéines réelles et s’efforcent de changer leurs propriétés en modifiant leurs molécules associées comme les lipides, les dérivés du glucose et même les polymères synthétiques.