Dix fois plus de débit dans les fibres optiques

© Jamani Caillet (EPFL)

© Jamani Caillet (EPFL)

Faire passer beaucoup plus d'information à la fois dans les fibres optiques : c'est possible. Une méthode simple et novatrice permet de réduire l'espace entre les impulsions qui transportent les données. De quoi multiplier par 10 le débit dans nos systèmes de télécommunications.

Petit joyau des télécommunications, la fibre optique transporte les informations sous forme d'impulsions lumineuses sur des milliers de kilomètres, à des vitesses fulgurantes. Le débit reste toutefois limité, car les impulsions ne peuvent pas voyager de manière trop rapprochée.

Pour éviter que les données qu'elles transportent ne se brouillent, elles sont contraintes de transiter en file indienne, en respectant une certaine distance entre elles. La fibre comporte donc des plages vides qui ne sont pas utilisées.

A l'EPFL, Camille Brès et Luc Thévenaz présentent pour la première fois une méthode pour générer des impulsions qu'il est possible d'imbriquer les unes dans les autres à l'intérieur des fibres, réduisant de fait l'espace entre chaque impulsion. Cette disposition «en puzzle» a fait l'objet d'une publication dans Nature Communications. Elle permet d'exploiter la totalité de la capacité de la fibre. De quoi multiplier par 10 le débit de l'information numérique dans nos systèmes de télécommunication.

La fibre optique atteint ses limites
«Depuis son apparition dans les années 70, la fibre optique a vu sa capacité multipliée par 10 tous les 4 ans, grâce à l'arrivée constante de nouvelles technologies, explique Camille Brès, du Laboratoire de systèmes photoniques (PHOSL). Cela fait maintenant quelques années que nous avons atteint une sorte de plafond, que les chercheurs du monde entier essaient de dépasser.»
Afin de faire face à la demande croissante des utilisateurs, plusieurs possibilités ont déjà été proposées Mais elles impliquent souvent de modifier la fibre elle-même, ce qui reviendrait à devoir remplacer toutes les infrastructures déjà en place. Les chercheurs de l'EPFL se sont quant à eux intéressé à un aspect beaucoup plus fondamental : celui du traitement de la lumière. Ils se sont penchés sur la façon la plus efficace de générer des impulsions adéquates pour porter les messages numériques. Avec leur technique, nul besoin de reconstruire tout le réseau. Seul l'émetteur aurait besoin d'être changé.

L'autoroute de l'information mal exploitée
Dans les systèmes de télécommunications modernes, lorsque l'on échange des informations entre deux téléphones portables, par exemple, les données sont transportées d'une antenne à l'autre à travers une fibre optique, sous la forme d'une suite d'impulsions lumineuses qui forment des codes.
Dit simplement, une impulsion «allumée» correspondra au chiffre 1, et une impulsion «éteinte» au chiffre 0. Les messages sont donc composés de suite de 0 et de 1 successifs. Ce sont ces codes qui permettront au récepteur de décrypter le message initial. Seul hic : il n'est pas possible d'intensifier le trafic. Si on les rapproche trop, les impulsions, ne pourront plus délivrer l'information correctement. «Une certaine distance doit être respectée entre chacune d'entre elles pour les empêcher d'interférer», résume Luc Thévenaz, du Groupe pour la Fibre Optique (GFO). Les chercheurs de l'EPFL ont constaté qu'une modification de la forme de ces impulsions est en mesure de limiter ces interférences.

Des ondes capables de s'intercaler
Tout repose sur une méthode qui permet de produire de façon quasi parfaite des impulsions dites «de Nyquist», dont la forme est plus pointue. «Ces ondes «puzzle» ont la capacité de pouvoir s'encastrer les unes dans les autres. Elles interfèrent entre elles, bien sûr, mais pas à l'endroit précis où est encodée l'information», précise Camille Brès.

Les ondes «puzzle»: un concept connu mais jusqu'ici impossible à mettre en œuvre
L'idée d'utiliser des ondes «puzzle» pour améliorer la capacité des fibres optiques n'est pas nouvelle. Seulement jusqu'ici, personne n'était parvenu à les générer de manière assez parfaite, malgré le recours à des infrastructures coûteuses et sophistiquées. A l'EPFL, c'est en utilisant un simple laser et un modulateur que les chercheurs sont parvenus à atteindre un résultat encore jamais égalé : une onde parfaite à plus de 99%.

Des réglages extrêmement précis
Dans la pratique, la forme d'une onde dépend directement de son spectre. Dans le cas d'une impulsion «puzzle», le spectre se doit d'être rectangulaire. En somme, il est nécessaire que toutes les fréquences qui composent l'impulsion soient de même intensité. C'est donc avec ce but en tête que Camille Brès et Luc Thévenaz se sont mis à moduler leurs lasers.

A la base, un simple laser ne comporte pratiquement qu'une seule «couleur» -soit une seule fréquence optique-, avec un spectre très étroit. Un peu comme si un violon ne disposait que d'une seule corde. En le modulant de manière très subtile à l'aide d'un modulateur, il est possible de l'enrichir d'autres couleurs ou fréquences, et le spectre s'élargit. Le violon disposerait dès lors de plusieurs cordes, capables d'exécuter des accords. Au final, l'impulsion sera donc composée de différentes couleurs.

Le problème, c'est qu'en temps normal, la couleur centrale demeure plus intense que les autres. Le spectre n'a donc pas la forme adéquate. Pour que le spectre soit rectangulaire, il faut que chaque couleur qui voyage dans cette impulsion ait la même intensité. En somme, il faut parvenir à ce que les cordes de l'instrument vibrent ensemble avec exactement la même force, sans pour autant faire vibrer des cordes annexes.

Par de fins réglages, et en se basant sur un concept dit des «peignes de fréquence», les chercheurs sont parvenus à générer des impulsions dont le spectre est presque parfaitement rectangulaire. Une prouesse qui permet de générer les très recherchées «impulsions de Nyquist». «C'est en menant une discussion avec un professeur invité de l'Université de Leipzig que Camille Brès et moi-même avons pensé à mettre nos expertises en commun, afin de développer cette nouvelle approche», commente Luc Thévenaz.

Une technologie déjà mature
Les impulsions «puzzle» pourraient susciter l'intérêt de nombreux acteurs des télécommunications. La technologie d

éveloppée par les deux chercheurs est déjà mature, tout optique et peu coûteuse. Elle pourrait en outre tenir sur une simple puce. «En un sens, nos résultats sont trop beaux pour être vrais», s'amuse Luc Thévenaz.

-----

Plus d'informations: Optical sinc-shaped Nyquist pulses of exceptional quality


Auteur: Laure-Anne Pessina

Source: EPFL


Images à télécharger

© Jamani Caillet / EPFL
© Jamani Caillet / EPFL
Luc Thévenaz et Camille Brès © Alain Herzog / EPFL
Luc Thévenaz et Camille Brès © Alain Herzog / EPFL

Partager sur