Digipredict, un jumeau numérique qui prédira l'évolution du Covid-19

L’EPFL lance un projet interdisciplinaire pour développer une technologie, basée sur l’intelligence artificielle, capable de prédire les dysfonctionnements cardiovasculaires graves dus au coronavirus et, à plus long terme, des maladies inflammatoires.

D’un simple rhume, à la perte de goût, en passant par des symptômes plus sérieux tels qu’une insuffisance pulmonaire, comment déterminer l’intensité du covid-19 quand il se déclare ? « L’interaction entre l’infection virale, la réponse de l’hôte, l’évolution d’une inflammation et les lésions cardiovasculaires du coronavirus est mal comprise. Il est difficile de prévoir si les patients présenteront des signes légers ou développeront rapidement une défaillance de plusieurs organes », affirme Adrian Ionescu, professeur à la faculté des sciences et techniques de l’ingénieur. Mieux connaître et prédire, de manière scientifique, le risque de détérioration apparaît nécessaire pour filtrer les patients arrivant à l’hôpital et prodiguer des traitements personnalisés.

© 2020 EPFL

Baptisé Digipredict, un projet européen, mené par l’EPFL, a pour but de détecter les formes graves de COVID-19 sous la forme d’un jumeau numérique basé sur l’intelligence artificielle. Il se base sur de nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle, les patchs intelligents et les « organes sur puce ». Digipredict réunit une dizaine de partenaires— universités, hôpitaux, start-ups – dont plusieurs professeurs de l’EPFL : Adrian Ionescu et ses dispositifs nanoélectroniques, David Atienza et ses systèmes embarqués, Kamiar Aminian et ses outils de mesure et analyse des mouvements ainsi que Martin Jaggi en matière d’apprentissage automatique et d’optimisation. Au-delà du COVID-19, les chercheurs vont créer une nouvelle technologie qui pourrait révolutionner la prédiction de l’évolution et le traitement personnalisé des maladies inflammatoires en général.

« Tempête de cytokines »

« Nous savons que des dysfonctionnements cardiovasculaires graves peuvent être générés suite à une surréaction du système immunitaire. En réponse à une infection, le corps va produire une grande quantité de cytokines, des protéines chargées de mobiliser une réaction immunitaire pour combattre un virus, explique Wolf Hautz, professeur à l’Inselspital de Berne et partenaire du projet. Avec le covid-19, on assiste à une “tempête de cytokines” qui peut avoir des conséquences dramatiques au niveau cardiovasculaires. Détecter ses prémices et suivre en temps réel cette tempête seraient une avancée majeure pour mieux soigner les patients à risque. »

Prédire la maladie minute par minute

Ce jumeau numérique, appliqué au domaine de la santé, sera composé de générateurs intelligents de données médicales intégrées dans un patch qui enregistrera les taux d’oxygène, de respiration ou encore la température du patient. De plus, ce patch possédera une technologie qui combinera des nanocapteurs et de l’intelligence artificielle pour procéder au suivi en temps réel des biomarqueurs, qui sont les indicateurs des prémices de la « tempête de cytokines ». Ils se trouvent dans le liquide interstitiel du corps humain. Ces biomarqueurs précisent la trajectoire du patient infecté par le coronavirus. «La technologie de l’organe-sur-puce servira à sélectionner la meilleure combinaison de biomarqueurs afin de capter précisément l’évolution de la maladie et à évaluer l’efficacité du traitement choisi», indique Albert Van den Berg, professeur à l’Université de Twente et également partenaire du projet.

« Grâce à cette collecte de données et un algorithme d’intelligence artificielle, nous procurerons des analyses objectives et quantitatives qui aideront à prendre une décision médicale avec moins d’erreur possible », complète Adrian Ionescu.

Ainsi, les scientifiques prévoient de suivre la progression de la maladie minute par minute afin de prodiguer et le traitement le plus adapté aux patients infectés.

Un prototype dans deux ans

« Nous combinerons l’excellence scientifique et technique dans un projet multi- et interdisciplinaire, en réunissant les communautés médicales, biologiques, électroniques, informatiques, de traitement du signal et de sciences sociales de toute l’Europe », déclare Adrian Ionescu. « Une projection personnalisée et profonde de l'évolution de la maladie d'un patient est une partie essentielle d'un processus de guérison sans heurts. L'IMEC apportera son expertise technologique en matière de détection portable des paramètres de santé et ses technologies d'organes sur puce, afin d'enrichir l'ensemble des données d'entrée du modèle de jumeau numérique. En outre, l'IMEC soutiendra le développement du dispositif grâce à son expertise en matière de logiciels et de données », déclare Peter Peumans, vice président senior et directeur technique des technologies de la santé à l'IMEC.

Ainsi l’EPFL, l’université de Twente, l’ETH Zurich, IMEC en Belgique, le Stichting Imec aux Pays-Bas, l’hôpital universitaire de la Charité de Berlin, l’université de Berne et trois start-ups (Ascilion, EPOS-IASIS et SCIPROM), contribueront à l’élaboration de ce premier jumeau numérique applicable aux patients atteints du covid-19. Les deux hôpitaux partenaires s’engagent à tester et valider cette technologie.

« Ce projet est rendu possible par la confluence des dernières technologies en matière d'intelligence artificielle et de recherche biomédicale. Digipredict va changer la façon dont nous voyons et interrogeons les trajectoires individuelles des maladies. Avec, je l’espère, un impact sur la prévention, le diagnostic, le suivi et le traitement des maladies cardiovasculaires », affirme Alexander Meyer, directeur de l'information médicale au German Heart Center Berlin et professeur d'IA clinique et de science des données.

Avec un budget de six millions d’euros répartis sur quatre ans, la cinquantaine de scientifiques travaillant sur Digipredict s’apprête à développer une technologie qui n’existe pas encore. Le rendez-vous est déjà pris dans deux ans avec un premier prototype qui sera suivi par des validations cliniques.

Le jumeau numérique, futur de la technologie

Un jumeau numérique, ou Digital Twin en anglais, est une représentation numérique d'un objet, d'un processus ou d'un système. Il peut être utilisé pour son design et pour la compréhension et la dynamique de son fonctionnement tout au long de sa vie. Appliquer ce concept aux humains pourrait révolutionner la médecine du XXIème siècle qui pourrait devenir personnalisée, préventive et participative, au-delà de sa dimension réactive.

Premier projet international soutenu par le Centre pour les systèmes intelligents

Le Centre pour les systèmes intelligents (CIS) de l’EPFL se chargera de la promotion du programme et de la dissémination de ses résultats. « Il s’agit du premier projet international que le CIS soutient, déclare son directeur exécutif, Jan Kerschgens. Nous sommes fières de soutenir Digipredict, un projet qui allie des axes transversaux de recherche dans les systèmes intelligents et qui valorise la mise en relation de partenaires internes à l’EPFL et externes. »


Auteur: Valérie Geneux

Source: EPFL