Différencier la matière noire du bruit cosmique grâce à l'IA

Simulation de la formation des structures de matière noire depuis les débuts de l'univers jusqu'à aujourd'hui. Crédit : Ralf Kaehler/Ethan Nadler/SLAC National Accelerator Laboratory

Simulation de la formation des structures de matière noire depuis les débuts de l'univers jusqu'à aujourd'hui. Crédit : Ralf Kaehler/Ethan Nadler/SLAC National Accelerator Laboratory

Un outil basé sur l’intelligence artificielle (IA) et développé à l’EPFL est capable de distinguer les effets insaisissables de la matière noire d’autres phénomènes cosmiques, pour une meilleure précision des études sur la matière noire.

Image: Image fixe d'une simulation de la formation des structures de matière noire depuis les débuts de l'univers jusqu'à aujourd'hui. Sous l'effet de la gravité, la matière noire s'agglomère en halos denses, indiqués par des taches lumineuses, où se forment les galaxies. Dans cette simulation, un halo comme celui qui abrite la Voie lactée se forme et un halo plus petit ressemblant au Grand Nuage de Magellan tombe vers lui. Les chercheurs du SLAC et de Stanford, en collaboration avec des collaborateurs du Dark Energy Survey, ont utilisé des simulations de ce type pour mieux comprendre le lien entre la matière noire et la formation des galaxies. Crédit : Ralf Kaehler/Ethan Nadler/SLAC National Accelerator Laboratory. [lien]

La matière noire est la force invisible qui, selon nous, maintient la cohésion de l’Univers. Elle représente environ 85% de l’ensemble de la matière et 27% du contenu de l’Univers. Et parce qu’elle est impossible à voir directement, nous devons étudier ses effets gravitationnels sur les galaxies et sur les autres structures cosmiques. Malgré des décennies de recherche, la véritable nature de la matière noire fait partie des mystères que la science n’a pas encore percés.

D’après une théorie phare, la matière noire pourrait être constituée de particules qui n’interagissent pratiquement pas avec un autre élément, si ce n’est par le biais de la gravité. Mais certaines et certains scientifiques pensent que ces particules pourraient occasionnellement interagir entre elles, un phénomène appelé auto-interaction. La détection de telles interactions apporterait des informations essentielles sur les propriétés de la matière noire.

Cependant, distinguer les signes subtils des auto-interactions de la matière noire des autres effets cosmiques, comme ceux provoqués par les noyaux actifs de galaxie (NAG) – les trous noirs supermassifs au centre des galaxies – est un défi majeur. La rétroaction des NAG peut déplacer la matière d’une manière similaire aux effets de la matière noire, ce qui complique la distinction entre les deux.

À l’EPFL, l’astronome David Harvey du Laboratoire d’Astrophysique a mis au point un algorithme d’apprentissage profond capable de démêler ces signaux complexes. Sa méthode basée sur l’IA a pour but de différencier les effets de l’auto-interaction de la matière noire de ceux de la rétroaction des NAG en analysant des images d’amas de galaxies, c’est-à-dire de vastes collections de galaxies liées entre elles par la gravité. Cette innovation laisse augurer une amélioration de la précision des études sur la matière noire.

David Harvey a entraîné un réseau neuronal convolutif (CNN) – un type d’IA particulièrement efficace pour reconnaître des modèles dans les images – avec des images du projet BAHAMAS-SIDM, qui modélise les amas de galaxies selon différents scénarios de matière noire et de rétroaction des NAG. Alimenté par des milliers d’images simulées d’amas de galaxies, le CNN a appris à faire la distinction entre les signaux provoqués par les auto-interactions de la matière noire et ceux provoqués par la rétroaction des NAG.

Parmi les différentes architectures CNN testées, la plus complexe – appelée «Inception» – s’est avérée aussi la plus précise. L’IA a été entraînée sur deux scénarios primaires de matière noire, présentant différents niveaux d’auto-interaction, et validée sur des modèles supplémentaires, y compris un modèle de matière noire plus complexe et dépendant de la vitesse.

Inception a atteint une précision impressionnante de 80% dans des conditions idéales, permettant de déterminer si les amas de galaxies étaient influencés par la matière noire en interaction avec elle-même ou par la rétroaction des NAG. Cette architecture a maintenu ses performances élevées même lorsque les chercheuses et chercheurs ont introduit des bruits d’observation réalistes qui reproduisent le type de données attendu des télescopes de demain comme Euclid.

Autrement dit, Inception, et plus généralement l’approche basée sur l’IA, pourrait s’avérer très utile pour analyser les vastes quantités de données que nous collectons dans l’Espace. De plus, la capacité de l’IA à traiter des données inédites indique qu’elle est adaptable et fiable, ce qui en fait un outil prometteur pour les futures recherches sur la matière noire.

Références

D. Harvey. A deep-learning algorithm to disentangle self-interacting dark matter and AGN feedback models. Nature Astronomy 06 septembre 2024. DOI: 10.1038/s41550-024-02322-8


Auteur: Nik Papageorgiou

Source: Sciences de Base | SB

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