Des volontaires impliqués pour étudier l'impact des résidus de pneus

es participantes et participants ont prélevé de mi-mars à juin 2024 des échantillons de sédiments et d’invertébrés. © Laureline Duvillard 2024 EPFL

es participantes et participants ont prélevé de mi-mars à juin 2024 des échantillons de sédiments et d’invertébrés. © Laureline Duvillard 2024 EPFL

Durant six mois, vingt personnes se sont familiarisées avec la démarche scientifique grâce à un programme de sciences participatives. Celui-ci vise à analyser l’impact des particules d’abrasion des pneus dans les cours d’eau vaudois.

C’est une pollution de grande ampleur qui nous concerne toutes et tous. Du haut de leurs quelques millimètres, les particules d’abrasion des pneus font des ravages. Elles représentent la plus large source de microplastiques dans l’environnement en Suisse (90% selon un rapport synthétisant différentes études scientifiques). «L’impact des particules de pneus est très significatif, et on sait désormais que certains antioxydants qu’elles contiennent posent problème, par exemple le 6PPD largement utilisé», explique Florian Breider, responsable du Laboratoire central environnemental (CEL) à l’EPFL. «En se dégradant, cette substance va former un sous-produit, la 6PPD-Quinone (6PPDQ) dont la toxicité a déjà été liée au déclin des saumons Coho aux Etats-Unis (lire l’étude parue dans Science).» En compagnie de chercheuses et chercheurs du Centre suisse d’ecotoxicologie appliquée (Ecotox) et de l’Institut fédéral suisse des sciences et technologies de l'eau (Eawag), le spécialiste en biogéochimie se concentre depuis 4 ans sur les substances chimiques émanant des résidus d’abrasion des pneus dans les cours d’eau. «Notre objectif est d’identifier un maximum d’effets liés à ces additifs, d’étudier le transfert de ces substances dans la chaîne alimentaire et à terme d’identifier les risques pour l’écosystème et la santé humaine.»

L’impact des particules de pneus est très significatif, et on sait désormais que certains antioxydants qu’elles contiennent posent problème, par exemple le 6PPD largement utilisé.

Transmettre la démarche scientifique

En parallèle à cette étude, son laboratoire vient d’analyser l’impact d’une quinzaine de types d’additifs issus de résidus de pneus, dont la 6PPDQ, dans plusieurs cours d’eau vaudois. Ceci dans le cadre du programme de sciences participatives «De route en rivière». Élaboré en partenariat avec le Service de promotion des sciences (SPS) de l’EPFL, ce projet a permis à vingt volontaires âgés entre 14 et 74 ans, de découvrir les coulisses de la recherche. En complément à sept séances à l’EPFL pour se former aux différentes étapes et procédures d’une recherche scientifique, les participantes et participants ont prélevé de mi-mars à juin 2024 des échantillons de sédiments et d’invertébrés (témoins de la qualité de l’eau) sur 35 sites (voir la carte, les sites analysés apparaissent en violet). «Avec ce programme, notre objectif était de transmettre la démarche scientifique à des personnes sans connaissances préalables dans ce domaine, relève Farnaz Moser-Boroumand, responsable du SPS. Nous avons tenu à avoir des séances de formation, car nous voulions vraiment les impliquer, pas qu’elles nous envoient seulement des échantillons.»

En collaboration avec le laboratoire de Florian Breider, deux médiatrices scientifiques, Shan Yao et Pauline Ruffiot, se sont chargées de coordonner le projet, de créer des supports d’information et d’adapter les protocoles et le matériel pour un public non initié à la recherche. «Nous avons eu un retour très positif des participantes et participants qui ont apprécié cette ’immersion’ dans la vie d’un labo et les discussions avec les chercheurs, notent les deux médiatrices. Les volontaires ont acquis des connaissances, et grâce à eux les scientifiques ont pu analyser des données issues de nombreux sites. Sans le programme, ils n’auraient pas eu les ressources de tous les visiter.»

Avec ce programme, notre objectif était de transmettre la démarche scientifique à des personnes sans connaissances préalables dans ce domaine. Nous avons tenu à avoir des séances de formation, car nous voulions vraiment les impliquer, pas qu’elles nous envoient seulement des échantillons.

Prendre conscience de l’invisible

Si cette recherche participative a créé des liens entre le grand public et le milieu scientifique, elle a aussi amené les participantes et participants à échanger entre eux et à porter un autre regard sur l’environnement. «J’ai pris conscience de la grande diversité des espèces qui nous entourent, à l’œil nu, beaucoup de choses nous échappent», témoigne Véronique Fuchsmann qui a effectué plusieurs sorties sur le terrain en compagnie de son mari et de sa fille âgée de 15 ans. «Je suis très sensible aux enjeux environnementaux et en tant que propriétaire d’une voiture électrique dont je dois changer les pneus plus régulièrement que ceux d’une voiture thermique, la thématique m’a tout de suite intéressée. J’ai été surprise de voir le temps que cela prenait de récolter des échantillons, entre le fait d’aller sur le terrain, de prélever correctement les sédiments et les invertébrés puis de les analyser. Un expert nous a formé, on avait une clé d’identification simplifiée et on pouvait envoyer nos photos pour contrôle, mais les déterminer restait parfois difficile.»

Véronique Fuchsmann © L.D. 2024 EPFL

L’écho est le même du côté d’Alistair Pichon-Boder qui a été étonné «de la quantité d’espèces et du nombre d’invertébrés dans les cours d’eau. Parfois j’avais jusqu’à 200-300 gammares (petits crustacés).» Le gymnasien de 17 ans, qui a analysé pour son travail de maturité le rapport au cours d’eau d’un point de vue psychologique et philosophique, a participé au projet par intérêt pour la recherche. «En échange de notre participation, ce programme nous a apporté des connaissances scientifiques. J’ai pu mieux comprendre comment une étude se passe.» Pour Véronique Fuchsmann, outre l’aspect éducatif, il a aussi été valorisant d’avoir pu agir à son échelle pour sensibiliser au problème de l’impact environnemental des résidus de pneus. «J’ai investi du temps dans ce projet, mais j’ai trouvé génial d’être impliquée dans une recherche. Le fait d’avoir un suivi et de nous présenter les résultats a été un vrai plus.»

Alistair Pichon-Boder © L.D. 2024 EPFL

Une pollution diffuse

La participation à ce programme et l’aide des vingt volontaires a aussi été précieuse pour le CEL, puisqu’elle a permis de gagner du temps dans le processus de la recherche. «Ça nous a aidé à constituer un important set de données et à identifier les sites sur lesquels nous devrons refaire des prélèvements. Nous avons observé la présence d’une quinzaine de types d’anti-oxydants dont le 6PPD, et il y a des hotspots dans la région. On a vu qu’il n’y a pas vraiment de variation entre les échantillons prélevés en amont et en aval du lieu de rejet des eaux de ruissellement de la route, ce qui signifie que la pollution est diffuse. Le problème est qu’on considère souvent la toxicité des substances seulement en regard de leur production et on ne prend pas en compte leur cycle de vie et la manière dont elles vont se dégrader dans l’environnement ou être métabolisées par les organismes vivants», détaille Florian Breider. Où se trouvent ces hotspots ? «A l’heure actuelle, nous ne pouvons pas encore le révéler, nous devons confirmer les analyses.» En parallèle, le scientifique insiste sur l’importance de sensibiliser le grand public à cette problématique, comme cela a été fait avec ce programme. «Le bilan général est très positif, notre vœu est donc de renouveler ce type de programme si on a le financement nécessaire, et pourquoi pas en partenariat avec des villes, ou en collaboration avec des écoles», conclut Farnaz Moser-Boroumand.


Auteur: Laureline Duvillard

Source: EPFL

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