Des scientifiques découvrent des modes cachés de l'activité cérébrale
Au sein d’une collaboration internationale dirigée par le Projet Blue Brain de l’EPFL, et avec l’aide des mathématiques, des scientifiques ont découvert des formes d’activité cérébrale jusqu’ici jamais observées, aidant ainsi à éclaircir le processus de traitement collectif de l’information par les neurones.
Chez des rats en bonne santé d’un âge similaire, on sait que leurs cerveaux se ressemblent en de nombreux points tels que le nombre et le types de neurones que l’on trouve dans les six couches du cortex cérébral. Ce que l’on sait moins en revanche, c’est comment les neurones échangent l’information, quels neurones sont activés et comment cette activité se déroule dans le temps.
Pour répondre à ces questions, une équipe de scientifiques dirigée par le Blue Brain Project de l’EPFL s’est servie du langage mathématique de la topologie algébrique afin de décrire les connexions qui s’établissent entre les neurones (de rat) et leurs réponses aux stimuli. Les résultats de l’étude sont publiés le 12 juin 2017 dans la revue en libre-accès Frontier in Computationnel Neuroscience, et fournissent la première conception géométrique du mode de traitement de l’information dans le cerveau de rongeur.
Selon Henry Markham, neuroscientifique a la tête du Projet Blue Brain a l’EPFL : « Nos approches mathématiques précédentes avaient beaucoup de mal à décrire l’activité générée par les neurones. Cette activité est devenue plus claire une fois décrite à l’aide de géométries multidimensionnelles - cette collaboration prometteuse a ouvert la porte à une toute nouvelle façon de comprendre le cerveau. »
L’équipe a conduit des expériences virtuelles sur un modèle numérique d'un microcircuit de cerveau de rat, composé de 31 000 neurones et 8 millions de connexions, et réalisé par le Projet Blue Brain à partir des données physiologiques. Nouvel outil puissant pour comprendre le cerveau, il a permis aux scientifiques de découvrir et de décrire de manière quantitative l'organisation géométrique des neurones, d’une richesse étonnante. La façon dont les neurones se connectent peut-être décrite à l’aide d’objets mathématiques multidimensionnels. Qui plus est, les réponses à des stimuli externes a des caractéristiques temporelles encore jamais observées.
Des formes abstraites d’organisation des neurones
Les scientifiques se sont penchés sur les familles de neurones, appelées «cliques», constituées de neurones tous liés les uns aux autres, par paire, avec des directions spécifiques de transmission du signal d'un neurone à l'autre. Les chercheurs ont constaté que les neurones sont très souvent groupés par paires au sein de familles de trois ou quatre, confirmant des observations expérimentales en laboratoire sur de petits échantillons du tissu cérébral de rats. Mais ils ont également remarqué que des cliques de plus grande taille étaient possibles, reliant jusqu'à huit neurones dans le microcircuit virtuel.
La représentation mathématique de ces paires de neurones ressemble au jeu de « relier les points », ou les neurones correspondent aux points et les connexions sont les lignes. Chaque ligne est attribuée une direction indiquant la façon dont les signaux sont transmis d'un neurone à l'autre. Le nombre de neurones dans une famille détermine la forme de la clique, de sorte que deux neurones liés forment une ligne droite, trois neurones un triangle plat et plein, quatre neurones une pyramide tridimensionnelle solide, alors que cinq neurones et plus mènent à des polyèdres à dimension supérieure. De sorte que la clique composée de 8 neurones correspond à un polyèdre de 7 dimensions.
« Pour un topologue, le cerveau est comme un réseau gigantesque avec des points - des neurones - et des lignes - des liens entre eux. De là, il est tout à fait naturel d'inférer les structures géométriques construites à partir de cliques » explique le topologue Ran Levi de l'Université d'Aberdeen. « Ce qui est si étonnant à propos de ce projet, c'est la pertinence de ces techniques pour comprendre à la fois la structure et la fonction dans le cerveau. L'abondance d'informations que nous avons déduite de cette approche est incroyable. »
Par contre, d'un point de vue physiologique les neurones sont distribués à travers toutes les couches du cerveau, ce qui rend ces cliques d’autant plus difficiles à visualiser in situ. En outre, chaque neurone appartient à un très grand nombre de cliques.
Mode caractéristique de réponse aux stimuli
Une fois cette classification abstraite des neurones établie, les scientifiques ont - pour la toute première fois – caractérisé des réponses récurrentes provoquées dans le microcircuit virtuel à la suite de stimulations externes. C’est déjà un fait bien connu que seules certaines parties du cerveau sont activées en réponse à un stimulus donné, mais ce que l’étude a permis d’éclaircir est la façon dont les signaux se propagent dans le cerveau et à travers quels neurones.
En chatouillant les moustaches de rongeurs virtuels, les scientifiques ont stimulé l'activité dans le microcircuit et ont observé l’activation des cliques de neurones ainsi que l’évolution de la réponse au cours du temps. Indépendamment du type de stimulus, les cliques activées se rassemblent pour former des cavités de différentes dimensions, que les scientifiques ont suivi dans le temps. Ils ont remarqué que ces cavités apparaissent toujours, d'abord dans des dimensions faibles, puis dans des dimensions de plus en plus élevées au cours du traitement de l’information dans le microcircuit virtuel, et ce jusqu'à la désintégration soudaine de toutes les cavités.
Comme l’explique Kathryn Hess, mathématicienne de l'EPFL, : « C’est très excitant de voir que les outils de mon métier, la topologie algébrique, permettent de détecter et de décrire une structure d’une telle richesse et hautement organisée qui se cache derrière l’activité apparemment chaotiques des neurones, et qui n’avait pas pu être décelée avant l’application de ce filtre mathématique »
Les résultats indiquent une sorte de recâblage constant du cerveau qui, au cours du traitement de l’information, crée un réseau avec le plus possible de structures de dimension élevée, qui finit par se désintégrer une fois la décision prise.
Les scientifiques commencent à présent à examiner si des tâches plus compliquées donnent lieu à des modèles plus complexes de cavités.