Des roboticiens reproduisent et décodent la nage du poisson-zèbre

Le larve de poisson-zèbre robotisée, Zbot. 2025 EPFL CC BY SA 4.0

Le larve de poisson-zèbre robotisée, Zbot. 2025 EPFL CC BY SA 4.0

Grâce à des simulations et des expériences avec des robots et des poissons, des scientifiques de l’EPFL et de l’Université Duke ont reproduit le circuit neuronal qui permet au poisson-zèbre de se stabiliser dans l’eau courante. Ils montrent ainsi comment cerveau, corps et environnement interagissent pour contrôler le comportement.


C’est un des paradoxes des neurosciences: bien que le cerveau évolue dans des environnements sensoriels et physiques spécifiques, les circuits neuronaux sont généralement étudiés de manière isolée dans des conditions de laboratoire contrôlées. Or, nous ne pouvons pas pleinement comprendre comment les facteurs environnementaux influencent le fonctionnement du cerveau sans tenir compte du corps dans lequel ce cerveau a évolué.

Les scientifiques du Laboratoire BioRobotics de la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur de l’EPFL est spécialisé dans le développement de robots bioinspirés pour décrypter les interactions cerveau-corps impliquées dans la coordination sensori-motrice. Ils ont récemment publié une étude dans Science Robotics qui fournit des informations détaillées sur l’incarnation, ou la façon dont le corps affecte la perception, chez les larves de poisson-zèbre.

«Notre larve simulée de poisson-zèbre a fourni une représentation virtuelle, ce qui nous a permis d’observer sa réaction à la dynamique des fluides simulée et à des scènes visuelles. Ensuite, nous avons utilisé un robot pour observer ces interactions dans le monde réel. Ces liens avec l’environnement ne peuvent pas être étudiés avec un cerveau isolé dans un laboratoire», résume Auke Ijspeert, responsable du Laboratoire BioRobotics.

Une vue «fisheye»

Avec leur corps translucide, les petites larves de poisson-zèbre offrent un accès optique à tous leurs neurones, ce qui en fait des modèles animaux très étudiés dans la recherche biomédicale. Pour leur étude, la neurobiologiste Eva Naumann et son équipe de l’Université Duke ont fourni une architecture de réseau neuronal dérivée de données d’imagerie en temps réel provenant du cerveau de poissons-zèbres vivants. Ils ont également suivi le comportement visuel des petits poissons et enregistré leurs réactions lorsqu’ils sont présentés à des stimuli visuels variés qui imitent ce qu’ils pourraient rencontrer dans l’eau courante.

Les scientifiques de l’EPFL ont ensuite travaillé avec Eva Naumann et son équipe pour développer une simulation qui reproduit fidèlement le traitement visuel, la mécanique corporelle et les circuits neuronaux du poisson-zèbre, de la rétine à la moelle épinière. Dans des expériences ciblant la réponse optomotrice – la nage réflexive qui aide les poissons à compenser les courants d’eau – l’animal virtuel a reproduit de près le comportement de larves réelles de poisson-zèbre.

C’était passionnant de reproduire les différents comportements qu’Eva et son équipe ont observés chez les poissons vivants. Cela suggère que nous avons réussi à rétroconcevoir les circuits

Auke Ijspeert

«C’était passionnant de reproduire les différents comportements qu’Eva et son équipe ont observés chez les poissons vivants. Cela suggère que nous avons réussi à rétroconcevoir les circuits», explique Auke Ijspeert.

Ce faisant, l’équipe a découvert que la plupart des signaux neuronaux qui déterminent le comportement du poisson-zèbre provenaient d’une partie relativement petite de la rétine. Leur simulation a même permis de prédire deux types de neurones jusque-là non identifiés qui expliquaient la réponse des poissons vivants à des stimuli inhabituels.

Pour valider davantage leurs travaux, Xiangxiao Liu, chercheur postdoctoral à l’EPFL, a créé une larve de poisson-zèbre robotisée de 80 cm équipée de deux caméras pour les yeux, de moteurs pour déplacer ses segments de queue, et des circuits neuronaux identiques à ceux du poisson-zèbre simulé. Lors d’expériences sur la Chamberonne à Lausanne, le robot a pu éviter d’être emporté en aval, même dans un milieu naturel imprévisible.

«L’émergence de la réponse optomotrice de notre circuit neuronal est significative, car une partie de la réponse d’un animal à tout stimulus est aléatoire. Malgré ce caractère aléatoire, les circuits neuronaux ont tout de même convergé pour réorienter le robot et maintenir sa position», explique Xiangxiao Liu.

Une plateforme open source pour étudier le comportement animal

Le Laboratoire BioRobotics étend déjà ces recherches à l’étude des habitudes de nage du poisson-zèbre. La simulation et la conception robotique des scientifiques sont également disponibles en tant qu’outils open source pour les scientifiques afin d’étudier la coordination visuo-motrice chez le poisson-zèbre et d’autres animaux. En effet, Auke Ijspeert souligne que ce travail démontre à quel point les modèles et les simulations sont indispensables pour comprendre quels mécanismes sensorimoteurs suffisent pour activer certaines fonctions biologiques.

«Dans les expériences sur les animaux, on peut montrer uniquement les mécanismes sensorimoteurs nécessaires, et pas ceux qui sont suffisants, car on ne peut pas éliminer tous les mécanismes pour n’en conserver qu’un seul chez les animaux. Ici, nous avons montré que la vision seule est en principe suffisante pour que le poisson-zèbre maintienne sa position, ce qui est un résultat difficile et non anodin.»

Les robots fournissent des indices sur la locomotion des anguilles

Une autre étude récente de l'EPFL, publiée dans la revue PNAS en collaboration avec l'université de Tohoku et de l'université d'Ottawa, a testé un modèle de circuit neuronal sur des robots amphibies développés dans le Laboratoire BioRobotics. Cette étude suggère que le retour multisensoriel permet aux anguilles de nager même après une lésion de la moelle épinière, tout en fournissant de nouvelles informations sur la transition évolutive des vertébrés de l'eau à la terre.

Références

Xiangxiao Liu et al., Artificial embodied circuits uncover neural architectures of vertebrate visuomotor behaviors.Sci. Robot.10,eadv4408(2025).DOI:10.1126/scirobotics.adv4408


Auteur: Celia Luterbacher

Source: EPFL

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Les caméras agissent comme les yeux dans la « tête » du Zbot. 2025 BioRob EPFL CC BY SA 4.0
Les caméras agissent comme les yeux dans la « tête » du Zbot. 2025 BioRob EPFL CC BY SA 4.0
Le larve simulée de poisson-zèbre, simZFish. 2025 BioRob EPFL CC BY SA 4.0
Le larve simulée de poisson-zèbre, simZFish. 2025 BioRob EPFL CC BY SA 4.0
Le larve de poisson-zèbre robotisée, Zbot. 2025 EPFL CC BY SA 4.0
Le larve de poisson-zèbre robotisée, Zbot. 2025 EPFL CC BY SA 4.0
Le larve de poisson-zèbre robotisée, Zbot. 2025 EPFL CC BY SA 4.0
Le larve de poisson-zèbre robotisée, Zbot. 2025 EPFL CC BY SA 4.0
Le larve de poisson-zèbre robotisée, Zbot. 2025 EPFL CC BY SA 4.0
Le larve de poisson-zèbre robotisée, Zbot. 2025 EPFL CC BY SA 4.0

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