Des rivières suisses en surchauffe d'ici la fin du siècle
Une étude de l’EPFL montre que des mesures de réduction immédiate du CO2 limiteraient la hausse des températures des rivières suisses à 1 degré, sans affecter drastiquement leur débit d’ici à 2090. L’inaction, en revanche, pourrait mettre en péril la production agricole et énergétique du pays ainsi que certains écosystèmes.
«On a souvent l’impression que l’eau est une ressource inépuisable en Suisse. Mais d’ici la fin du siècle, il faudra peut-être choisir entre utiliser l’eau des rivières pour arroser les champs ou la stocker dans les barrages, pour assurer nos besoins en électricité». Adrien Michel a réalisé son doctorat en sciences et ingénierie de l’environnement à l’EPFL, au sein du Laboratoire des sciences cryosphériques (CRYOS). Après avoir présenté une analyse de l’impact du réchauffement climatique sur les rivières suisses dans une étude rétrospective (EPFL Actualités, 30.01.2020), il publie dans la revue Hydrology and Earth System Sciences en tant que premier auteur une nouvelle recherche sur les rivières suisses, en regardant cette fois vers l’avenir. Une étude mandatée par l’Office fédéral de l’environnement (OFEN) qualifiée par la revue de «publication phare» (highlight paper).
Trois scénarios
La recherche présente trois scénarios potentiels, en fonction d’émissions de gaz à effet de serre importantes, moyennes et basses. Selon le scénario extrême, basé sur l’inaction face à la situation actuelle, il faut s’attendre à une hausse des températures des rivières alpines de 5,5 degrés durant l’été et de 4 degrés pour les rivières du plateau. Le débit moyen des rivières pourrait quant à lui baisser de 30% en montagne et de 25% en plaine. Selon le scénario inverse, basé sur une réduction des émissions de CO2 en ligne avec l’Accord de Paris sur le climat, la hausse de la température des rivières alpines et de plaines serait limitée à 1 degré d’ici la fin du siècle. La baisse du débit des rivières serait quant à elle quasi nulle en plaine et de seulement 5% en montagne. Ce scénario permettrait en outre de conserver la moitié des glaciers, avec une stabilisation de leur fonte dès 2050, contre une disparition presque entière en cas d’inaction.
Accentuation des extrêmes
L’étude rappelle que les extrêmes hivernaux et estivaux seront accentués en plaine, selon ces trois scénarios. La hausse des précipitations va donc augmenter le débit des rivières durant l’hiver. Ce débit sera en revanche limité l’été, en raison de l’évaporation de l’eau liée à la hausse des températures et de la rareté des précipitations. A noter qu’Adrien Michel s’est basé sur les modèles climatiques de prédiction de MétéoSuisse et ceux de simulation de la fonte des glaciers de l’ETH de Zurich, pour réaliser ses modélisations de neige, de débit et de température des rivières.
Il reste une partie de notre patrimoine environnemental à sauver, à condition de prendre dès à présent des mesures fortes.
«Nous cultiverons sans doute des oranges sous nos latitudes, indique le chercheur, mais qu’en sera-t-il du reste de la biodiversité?» Car cette étude se base bien sûr sur le monde tel qu’on le connaît aujourd’hui. Beaucoup d’inconnues demeurent encore quant à la fin du siècle. Quelle sera l’évolution de l’agriculture et de l’énergie? Ou de la faune et de la flore des rivières, sachant que la hausse des températures freine la reproduction des poissons et augmente les risques de maladie? Comment pourra-t-on maintenir une production électrique suffisante, si le débit des rivières diminue drastiquement? Et si la Suisse décide de construire de nouvelles centrales nucléaires ou d’autres installations industrielles, comment allons-nous les refroidir?
Agir dès maintenant
Avant de répondre à ces questions, Adrien Michel, qui a effectué sa thèse au sein de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC), invite à agir sur le présent: «Notre étude sur le débit et la température des rivières montre d’un côté que le réchauffement climatique aura des effets inévitables qui demandent dès aujourd’hui de nous adapter, par exemple à travers nos politiques énergétique et agricole. De l’autre, nous voyons qu’il reste une partie de notre patrimoine environnemental à sauver, à condition de prendre dès à présent des mesures fortes.»
Office fédéral de l'environnement (OFEN)