Des résultats majeurs pour les interfaces cerveau-machine

© 2019 Mental Work

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Les données du projet Mental Work, un travail expérimental réalisé au sein de l'Artlab à l'EPFL, montrent que l'ICM est fiable et accessible au grand public, ce qui suscite de nouvelles collaborations dans la recherche en Suisse sur l'expérience de l'utilisateur.

On trouve rarement des interfaces cerveau-machine (ICM) en dehors des cliniques médicales, où les personnes handicapées reçoivent des heures ou des jours d'entraînement pour pouvoir contrôler des fauteuils roulants avec leur pensée. La plus vaste expérience jamais menée d'ICM, Mental Work, conduite comme un travail artistique expérimental au sein de l'Artlab de l'EPFL, vient de fournir la preuve préliminaire que le temps d'apprentissage peut être raccourci, que l'utilisation d'électrodes sèches constitue une solution valable pour l'ICM destinée au grand public, et que la performance de l'utilisateur tend à s'améliorer sur une durée relativement courte. Les résultats, qui doivent encore être publiés, suggèrent que l'ICM pourrait bientôt concerner une population bien plus grande et plus diversifiée. Une nouvelle collaboration entre la Fondation Campus Biotech à Genève, l’EPFL et la HEIG-VD à Yverdon va travailler sur les résultats prometteurs de Mental Work, afin de développer plus avant des interfaces conviviales et accessibles au public, dans le but d'interagir avec le monde physique et le monde numérique en utilisant uniquement sa pensée.

«C'est la première démonstration qu'une installation artistique peut servir de plate-forme expérimentale pour une science de pointe», dit Jonathon Keats, l'artiste et philosophe expérimental qui a conceptualisé Mental Work.

Selon le professeur de la Faculté des Sciences et Technique de l'Ingénieur de l'EPFL José Millán, dont le laboratoire a développé le système d'ICM pour la présentation, «les premiers résultats de Mental Work montrent qu'il est possible, pour une large part de la population, d'utiliser avec succès l'ICM pour interagir avec son environnement, et cela après une période d'entraînement beaucoup plus courte que ce que l'on croyait nécessaire.» L'équipe a rassemblé une base de données unique comprenant presque 800 sujets, chacun contribuant avec environ une heure de signaux cérébraux au cours d'une expérience d'interaction d'une complexité croissante. Cette base de données sera partagée avec la communauté scientifique de l'ICM lorsque les scientifiques auront mené à bien une analyse fondamentale de sa fiabilité, de ses principaux résultats et de sa standardisation.

Un entraînement en 30 minutes

Un des défis les plus significatifs pour toute intégration ICM dans une exposition ou dans la vie quotidienne de ses utilisateurs est la période d'entraînement, relativement longue et fastidieuse, pendant laquelle l'utilisateur apprend à interagir avec le système tandis que le système découvre le schéma cérébral unique de l'utilisateur pour une activité spécifique, souvent pendant des heures, sur une période qui se compte en jours et en semaines. «À notre grande satisfaction, nous avons obtenu une réduction significative du temps d'entraînement nécessaire pour utiliser une ICM à 30 minutes pendant l'exposition», dit José Millán. Cette réduction a été rendue possible grâce à un algorithme puissant de sélection des caractéristiques, simplifié sur le processus d'intégration, ainsi que l'implémentation systématique d'un protocole rigoureux pour des centaines d'utilisateurs.

L'ICM est difficile, mais on peut l'améliorer rapidement

Les visiteurs de Mental Work, qui répondent à un questionnaire standardisé intégré à l'exposition et couplé avec leurs données d'activité cérébrale, ont rapporté de manière constante que les tâches mentales demandées étaient très exigeantes – contrairement à une opinion répandue selon laquelle l'ICM fonctionne sans effort. Et tandis qu'un tiers des utilisateurs pouvaient effectuer des commandes et que plus de 55% d'entre eux ont continué à s'améliorer lors de leur premier essai, les données montrent également que beaucoup de participants à Mental Work qui avaient échoué à la première tentative ont finalement acquis de bonnes capacités en ICM en progressant dans l'exposition. «Nous allons étudier désormais comment les schémas cérébraux varient, en mettant l'accent sur l'exploration de la manière dont ces schémas évoluent pendant le processus d'apprentissage, de manière à découvrir des principes propres à améliorer et accélérer l'acquisition d'un contrôle cérébral fiable», dit José Millán.

La technologie des électrodes sèches dans un espace public

L'apparition de la technologie des électrodes sèches pour mesurer l'EEG s'avère favorable pour l'exposition Mental Work, et pour un usage plus vaste de l'ICM en général. Les électrodes sèches permettent d'éviter les opérations longues et rébarbatives liées à l'utilisation d'un gel conducteur pour obtenir des signaux. Le producteur de Mental Work, Michael Mitchell, dit que «lorsque nous avons eu pour la première fois l'idée du projet, en 2012, la technologie de l'EEG à sec n'était pas assez mûre dans l'optique d'une exposition publique. Puis le système de Wearable Sensing à électrodes sèches avec des signaux de niveau recherche a été développé, et la société nous a rejoints en tant que sponsor commercial. Nos idées se sont finalement accordées avec la réalité de la technologie.» Selon l'analyse préliminaire du laboratoire portant sur 530 participants à Lausanne, 23% de leurs enregistrements EEG ont montré une qualité de signal élevée, 47% une qualité moyenne à élevée, et seulement 12% ont attesté d'une qualité de signal faible – un constat extrêmement encourageant puisqu'il confirme la validité de l'utilisation de ces nouvelles technologies dans la vie de tous les jours.

L'avenir de Mental Work

Mental Work est désormais devenu une plate-forme collaborative et transdisciplinaire en neuro-ingénierie et en recherche sur l'expérience des utilisateurs en Suisse. Campus Biotech, à Genève, accueillera l'une des quatre machines de Mental Work pour les trois années à venir, en collaboration avec l'EPFL et la HEIG-VD à Yverdon, offrant ainsi la possibilité de développer et de tester aussi bien la technologie sous-jacente de l'ICM que l'interface de l'utilisateur frontal dans deux centres d'excellence de la Suisse romande. De plus, les découvertes cliniques et les améliorations des algorithmes d'apprentissage-machine qui inspirent l'ICM vont continuer à être intégrés dans le cadre de la plate-forme Human Neuroscience de la Fondation Campus Biotech dans une collaboration qui se poursuit entre José Millán et l'Université du Texas, à Austin. Les personnes souffrant de handicaps sévères vont non seulement bénéficier d'un meilleur contrôle de leurs neuro-prothèses, mais encore gagner une plus grande facilité d'emploi, et potentiellement des périodes d'entraînement plus courtes, qui vont réduire l'effort nécessaire pour obtenir et conserver le contrôle – un avantage significatif pour ceux dont la vie est dominée par leur handicap, et où chaque effort supplémentaire multiplie les risques de frustration et de rejet de la technologie.

«Mental Work» a toujours été voulue comme une plate-forme de recherche, sur les plans artistiques, philosophiques et scientifiques. Avec cette nouvelle phase, les trois domaines de recherche seront parfaitement intégrés, renforçant ainsi le statut de Mental Work de moteur de découverte», conclut Jonathan Keats.