Des ponts de 200 mètres sans joints de dilatation : est-ce possible ?

© 2008 Yola Simon
Les joints de dilatation sont un cauchemar dans la maintenance des ponts autoroutiers. Après quelques décennies, les points de jonction entre l'ouvrage d'art et la route montrent des signes de dégradation. Des chercheurs de l’EPFL tentent de se passer de cette technique coûteuse. Ils ont mis sur pied une expérience grandeur nature sur le campus.
La Suisse est un pays de ponts. Les autoroutes ne dérogent pas à la règle. Elles filent droit et enjambent monts et vallées sans se soucier du relief. Les ouvrages d'art subissent tout au long de l’année les variations de températures et les changements météorologiques. Ils sont donc munis à chaque extrémité d’un joint de béton et d’acier qui permet à la structure de se déformer. Le talon d’Achille de ces éléments, installés sur la culée entre la terre ferme et le pont, est leur contact permanent avec l’air, l’eau et les sels de déverglaçage. Après 25 à 30 ans, l’usure fait son œuvre, l’acier se corrode, la nature du terrain peut changer et empêcher le joint de travailler correctement. «Le coût des travaux de maintenance sur un joint de chaussée est estimé à quelques 100'000 francs. Imaginez ce que coûte la réparation de 28 joints, comme on a dû le faire récemment dans le canton de Vaud, sans compter les perturbations pour le traffic», explique le professeur André-Gilles Dumont qui dirige le Laboratoire des voies de circulations (LAVOC).
Les ponts semi-intégrésPour éviter ces désagréments, les ponts de petite et moyenne longueur sont désormais construits sans joint de dilatation. Le pont est prolongé par une dalle de transition qui, enterrée sous le remblai, absorbe les déformations. Selon l’Office fédéral des routes, cette technique ne s'applique qu'à des ouvrages de 60 mètres au maximum. Le laboratoire des constructions en béton (IBéton) a initié une recherche innovante. «Nous démontrons qu'il est possible d’éliminer les joints de dilatations pour les grands ponts de plusieurs centaines mètres, explique Aurelio Muttoni. Si vous doublez la longueur d’un pont, vous doublez l’amplitude des mouvements dus à la dilatation ou à la rétractation. L’enjeu est de pouvoir éliminer les joints de dilatation des futurs grands ponts, et de transformer ceux existants, nombreux sur le sol helvétique.»
Un laboratoire en plein airLe LAVOC organise en ce moment une expérience grandeur nature. Les chercheurs ont construit une réplique à l’échelle 1/1 d’une culée de pont intégrale. Les laboratoires de topométries (TOPO), quant à eux, se concentrent sur la déformation du sol. Enfin, le laboratoire IBéton a conçu la dalle de transition, qui sera installée dans une fosse. Des vérins hydrauliques simuleront les déplacements du pont en tirant ou poussant la dalle de transition. Le revêtement de bitume sera identique à celui des autoroutes suisses.
Pour simuler l'effet du passage des véhicules, les ingénieurs recourent à un rouleau compresseur de 22 tonnes. Ils pourront ainsi évaluer le tassement du remblai. Enfin, les chercheurs vérifieront l’affaissement du profil et saisiront en 3D la surface déformée. Bertrand Merminod joue avec deux technologies. La première, éprouvée, recourt à des pieux plantés dans le sol. La seconde, plus récente, fait appel à un scan laser. « Ce dernier procédé est utilisé couramment dans les mines pour connaître le volume qu'il est nécessaire d'excaver. Avec plus d'un point par centimètre carré, il donne de la surface une représentation en haute définition.» A la fin de l'année les chercheurs sauront s'il est possible de concevoir un pont de grande dimension sans recourir aux joints de dilatation.