Des plaquettes sanguines sur demande
Les plaquettes sanguines ne peuvent pas être conservées plus d’une semaine et les pénuries sont fréquentes. Une start-up de l’EPFL, HemostOD, développe un procédé pour en produire en grande quantité et à la demande.
Plusieurs types de cancers, comme la leucémie, certaines maladies congénitales ou encore une chirurgie cardiaque ont un impact sur la qualité ou la quantité des plaquettes. Ces dernières étant responsables de la coagulation, une hémorragie est à craindre lorsqu’elles font défaut et une transfusion est souvent le traitement indiqué. En Suisse, entre 35 et 40'000 transfusions de plaquettes issues de donneurs volontaires se font chaque année selon les chiffres du rapport « Hémovigilance » 2021 de Swissmedic, mais ces statistiques ne recensent pas les poches de transfusions qui manquent régulièrement.
Le problème risque de s’intensifier ces prochaines années en raison de l’augmentation et du vieillissement de la population, ainsi que d’une hausse des cancers du sang et d’une évolution dans la prise en charge de ces derniers. Un vrai problème pour les hôpitaux qui travaillent déjà à flux tendu. Les plaquettes de donneurs devant être conservées à température ambiante, le délai de péremption très court -de quatre à sept jours- pour éviter les contaminations bactériennes empêche la constitution de stocks. Afin d’offrir une alternative, disponible à la demande, une start-up de l’EPFL, HemostOD, développe une technologie permettant de produire des plaquettes à partir de cellules souches adultes.
Non seulement la pénurie de plaquettes est un vrai problème dans les hôpitaux de manière générale, mais certains patients multitransfusés développent des anticorps contre les plaquettes de donneurs
Des plaquettes universelles
Les plaquettes sont des fragments de cellules présentes dans la moelle osseuse, les mégacaryocytes, eux-mêmes produits par des cellules souches plus volumineuses appelées mégacaryoblastes. Les mégacaryocytes forment des élongations qui s’insèrent dans les vaisseaux sanguins et qui se brisent sous l'effet de l'écoulement sanguin pour former des plaquettes. C’est ce mécanisme que cherche à reproduire et optimiser la start-up afin de produire des plaquettes en laboratoire, rapidement et en grande quantité. « Dans notre système, un fluide contenant des mégacaryocytes s’écoule dans un dispositif microfluidique, doté de micro-obstacles qui provoquent les élongations des mégacaryocytes, jusqu’à la rupture où elles deviennent des plaquettes », explique Élodie Dahan, cofondatrice avec Faouzi Khechana. Tous deux alumni de l’EPFL, ils développent depuis deux ans à l’EPFL cette technologie issue de brevets qu’ils ont acquis d’une université française, convaincus par le potentiel de la technologie. Le procédé est maintenant au point pour une production à plus large échelle. Élodie Dahan se souvient du moment plein d’émotion où l’équipe a produit sa première poche de plaquettes: « on a démontré, après plusieurs mois d’effort, que notre système fonctionne ! ».
Les cellules souches utilisées, issues du sang ou de la moelle osseuse, sont traitées de manière à empêcher l’expression de protéines antigènes, qui constituent une sorte de carte d’identité, à leur surface. Ainsi anonymisées, elles produisent des plaquettes universelles qui peuvent être administrées indépendamment du groupe sanguin du receveur et d’autres contre-indications. « Non seulement la pénurie de plaquettes est un vrai problème dans les hôpitaux de manière générale, mais certains patients multitransfusés développent des anticorps contre les plaquettes de donneurs », souligne Olaïa Naveiras, professeure au Laboratoire d'hématopoïèse régénérative à l’UNIL. « Produire des plaquettes issues de cellules programmées sans ces antigènes offrirait une solution sans risque de rejet, avec une qualité comparable à celles d’un donneur », note la chercheuse qui collabore avec HemostOD dans le cadre d’un projet Innosuisse avec le CHUV et l'UNIL.
Le problème du manque de plaquettes, d’importance mondiale, a encouragé plusieurs groupes de recherche à se pencher sur la question. Plusieurs entreprises, notamment au Japon, tentent également de mettre sur le marché des systèmes industrialisables. « La solution que nous développons présente l’avantage de ne pas recourir à des dons multiples de cellules souches. Nous sommes capables à partir d’un don unique de cellules de garantir une production industrielle de qualité constante à long terme », souligne Faouzi Khechana, déjà créateur d’une start-up à succès avec Lemoptix, une spin-off de l’EPFL rachetée par le géant américain Intel en 2015. « Cela laisse présager une réponse idéale aux besoins mondiaux ».
Un projet InnoSuisse pour démontrer la possibilité d’une production en grande quantité
La start-up a conclu, en mai 2021, une levée de fonds de démarrage de 1,65 million de francs suisses. Le projet InnoSuisse sur deux ans qu’elle mène avec le CHUV, l'UNIL et l’UNIGE vise à démontrer la capacité de sa technologie à produire des plaquettes en grand volume, avant de passer à des essais cliniques. « Nous recherchons activement de nouveaux investisseurs et espérons pouvoir effectuer les premiers tests de transfusion chez l’homme en 2025, avant une mise sur le marché en 2027 », souligne Faouzi Khechana.