Des «pièces de rechange» high-tech porteuses d'espoir

© Martina Gini contrôle un bras robotique simplifié avec la respiration. © EPFL / Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0
Mains et bras robotisés, pompes cardiaques souples, biomatériaux, muscles imprimés en 3D... Avec la robotique et les biotechnologies, les nouvelles techniques pour réparer le corps humain sont en plein essor.
Après un accident ou une maladie, des millions de personnes doivent réapprendre à vivre avec un membre en moins, des organes déficients ou des dommages aux tissus, aux os, aux articulations... À l’EPFL comme ailleurs, des chercheuses et chercheurs travaillent à développer de nouvelles solutions pour alléger leur quotidien.
Commençons au Laboratoire de neuro-ingénierie translationnelle de l’EPFL. L’entité dirigée par Silvestro Micera fait parler d’elle depuis plus de 10 ans, notamment pour son travail sur les prothèses de la main. En 2023, le laboratoire a réussi à incorporer des retours sensoriels permettant à des personnes amputées d’une main de ressentir la chaleur dans le membre absent grâce à des électrodes thermiques non invasives. Une avancée loin d’être anodine. «Un ressenti de température est essentiel pour transmettre des informations qui vont au-delà du simple toucher, expliquait alors Silvestro Micera. Il engendre des sentiments d’affection. Nous sommes des êtres sociaux, et la chaleur en est un élément fondamental».
Chercheur du TNE basé au Campus Biotech de Genève, Vincent Mendez participe aux développements dans le domaine. «Aujourd’hui, l’équipe travaille à créer une prothèse intégrant tous les éléments développés ces dernières années: sensations de toucher, de température, éléments de robotique, explique le bio-ingénieur. Pour le toucher, nous collaborons avec des chercheurs de la Scuola Superiore Sant’Anna de Pise sur un nouveau système non invasif qu’ils ont développé, sans implant sur les nerfs, où des sortes de miniballons se gonflent dans la fixation de la prothèse, touchant la peau à des points précis et créant l’illusion que c’est la main fantôme qui est touchée.»
Des mains contrôlées par la pensée
Depuis six ans, Vincent Mendez étudie plus particulièrement les aspects liés au contrôle des prothèses. Il travaille notamment avec des personnes qui tentent de contrôler des mains robotiques par la pensée. «En utilisant des électrodes placées sur les avant-bras, nous pouvons mesurer l’activité musculaire et interpréter les signaux qui sont transmis, les décoder. Le but est de traduire l’intention de la personne pour obtenir un mouvement de la main robotique qui soit intuitif et naturel.» Il espère qu’un prototype de prothèse intégrant ces nouvelles techniques verra le jour courant 2026.
Daniel Leal collabore lui aussi aux activités du TNE. Dans le cadre du Third Arm Project, le neuro-ingénieur travaille notamment au développement de bras robotiques additionnels. Le but d’un tel membre supplémentaire: venir en aide aux personnes ayant perdu l’usage de leurs bras, mais aussi assister des personnes valides dans des tâches quotidiennes nécessitant de «multitasker», ou encore dans des opérations délicates, comme le sauvetage ou l’assistance dans le domaine médical. «Un des enjeux est de contrôler ce bras supplémentaire en employant des ressources moteurs attribuées à d’autres fonctions dans le corps, sans perturber les fonctions nécessaires. Le corps humain a beaucoup de redondances qui peuvent être mises à profit», souligne Daniel Leal.
L’équipe du TNE étudie ainsi les possibilités d’activer ces bras par des mouvements du diaphragme, mais aussi par les muscles de l’oreille. «Les muscles auriculaires sont vestigiaux, c’est-à-dire que, pour la plupart des gens, leur usage s’est perdu au fil de l’évolution, reprend le chercheur. Mais les neuroconnexions existent encore. On peut donc apprendre à les réattribuer. Un des avantages de ces muscles est qu’ils sont préservés dans la plupart des cas de lésions médullaires graves, ce qui en fait des cibles appropriées pour le contrôle neuroprosthétique.»
Les hydrogels, résultats costauds pour tissus mous
Tous les accidents n’impliquent heureusement pas la perte d’un membre. Lors d’accidents domestiques ou de sport, ce sont souvent les tissus mous qui sont touchés: tendons, muscles, peau, etc. Or les interventions chirurgicales sur ces tissus, même légères, ne donnent pas toujours les meilleurs résultats, car ils se régénèrent et cicatrisent souvent mal. Depuis des décennies, les chercheuses et chercheurs tentent de créer des adhésifs capables de résister aux contraintes d’un corps humain en mouvement. Au Laboratoire d’orthopédie biomécanique de l’EPFL, Dominique Pioletti et son équipe travaillent dans ce but au développement d’une nouvelle famille d’hydrogels: des biomatériaux injectables, capables de se lier aux tissus et de les aider à se régénérer.
Les hydrogels présentent de gros avantages. «Ils ont des propriétés proches des tissus mous, explique le professeur. Comme eux, ils sont formés d’un réseau de molécules qui maintient un liquide à l’intérieur. Autre grand avantage, on peut les injecter sous forme liquide, puis les faire solidifier partiellement, par exemple en réaction à la lumière. On peut vraiment agir de manière minimalement invasive.»

Aujourd’hui l’axe de travail principal du laboratoire vise à combler les trous dans le cartilage. «Pour traiter les lésions, nos partenaires du CHUV prélèvent des cellules chez le patient et les étendent en laboratoire, avant de les réinjecter pour favoriser une repousse. Jusqu’ici, on les a injectées avec un liquide, ce qui pose des problèmes, notamment pour faire rester les cellules en place. Si on les insère dans un gel qui s’attache au cartilage, les cellules restent confinées dans la partie du cartilage à traiter, permettant une efficacité thérapeutique plus élevée. Le gel sera capable à la fois de le protéger et de s’intégrer au tissu existant.»
Dans le cas de dommages au cartilage (un tissu dont Dominique Pioletti compare la texture aux chewing-gums Malabar), une vraie course contre la montre se joue avec le corps. «Si on ne protège pas la zone, le corps va former ce qu’on appelle un fibrocartilage, un tissu dont les fibres sont mal organisées, qui reste en place et empêche un cartilage de meilleure qualité de venir repousser. L’hydrogel va en quelque sorte occuper cette place et permettre au tissu de se reconstituer.» Un des grands enjeux est donc de prévoir correctement la vitesse de dégradation de l’hydrogel.
Dominique Pioletti vise un débouché commercial au projet d’ici environ cinq ans. Le chercheur a également participé au lancement de la start-up Flowbone.
De la peau et des muscles en 3D
Les hydrogels ont trouvé d’autres usages au Laboratoire fédéral d’essai des matériaux de recherche (EMPA). En partant de gélatine issue de poissons d’eau froide, comme la morue ou le colin, des chercheurs et chercheuses ont mis au point ce printemps un biomatériau innovant, non gonflant et compatible avec l’impression 3D. Déjà breveté, cet hydrogel permet d’imprimer conjointement des cellules cutanées pour créer des modèles de peau vivante. Il simule la matrice extracellulaire et reproduit les différentes couches de la peau humaine, facilitant ainsi l’étude de maladies ou de plaies chroniques. Il pourrait aussi servir de pansement: biocompatible, il provoque notamment moins de réactions immunitaires que les dérivés de mammifères.
À l’EMPA toujours, l’impression 3D est utilisée dans un autre champ prometteur: celui des muscles. En mars dernier, le laboratoire a annoncé de gros progrès dans la création de muscles en silicone, qui pourraient un jour «aider les êtres humains à travailler ou à marcher, ou encore remplacer des tissus musculaires blessés». Ces muscles utilisent des DEA (actionneurs élastiques diélectriques), formés de couches alternées de matériaux conducteurs et isolants à base de silicone. En réponse à des tensions électriques, l’actionneur se contracte comme un muscle, puis se détend.
Au service du cœur et du sourire
Les DEA occupent une grande place dans le travail d’Yves Perriard. À Microcity (EPFL Neuchâtel), le microtechnicien dirige à la fois le Laboratoire d’actionneurs intégrés (LAI) et le Centre pour muscles artificiels (CAM). En collaboration avec les universités de Zurich, de Berne et de Munich, les deux entités travaillent à créer des moteurs et des éléments de robotique souples capables de venir en aide aux corps ayant besoin d’un coup de pouce.
Au cœur de leur travail, on trouve… le cœur. Ou, plus spécifiquement, l’aorte. Avec l’espoir de faire un bond en avant dans ce que la médecine pourra proposer aux personnes souffrant d’insuffisances cardiaques. «Aujourd’hui, lorsqu’on crée une pompe, il faut mettre des objets rigides à l’intérieur du cœur, explique Yves Perriard: du métal, des aimants... Ici, nous cherchons à créer quelque chose de souple, de beaucoup moins invasif, qui ne touche pas le sang et n’entre pas dans le cœur.»
L’équipe d’Yves Perriard est parvenue à façonner un DEA en forme d’anneau, qui peut être placé sur l’aorte, à la sortie du cœur. «L’anneau s’étire et se referme. En synchronisant son mouvement avec l’ouverture de la valve aortique, on crée un effet de succion, qui aide le cœur à pomper.»
En 2021 et 2022, de premiers tests in vivo, effectués sur des cochons, se sont révélés concluants, validant la méthode. «Mais l’année dernière, une avancée a carrément ouvert de nouvelles perspectives, raconte le professeur. En créant un vide d’air autour du DEA, on a pu multiplier son effet par presque 10. Au lieu d’aider le cœur à battre, on pourrait en fait imaginer le remplacer.» L’équipe a fait breveter ce principe, qui lui appartient entièrement. «On s’approche des tests sur des êtres humains», se réjouit Yves Perriard.
En collaboration avec le groupe de Nicole Lindenblatt, à l’Hôpital universitaire de Zurich, les labos neuchâtelois travaillent également à la réanimation faciale. «Le but est de venir en aide à des gens dont le visage est paralysé, souvent d’un côté, par exemple à la suite de virus s’attaquant aux nerfs, reprend Yves Perriard. Un DEA plat, extrêmement fin, est placé sous la joue des patients. Connecté au muscle zygomatique et relié à un système électronique capable de lire le résultat nerveux émis par le patient, il lui permettra de relever à nouveau le coin de la lèvre.» Ici comme ailleurs, ces avancées s’apprêtent à redonner le sourire à beaucoup de gens.