Des organoïdes imitent le développement précoce des membres

Imagerie par fluorescence d’un budoïde. Magenta: cartilage en formation. Vert: cellules CAE. Crédit: 2025 EPFL/Evangelia Skoufa/Can Aztekin - CC-BY-SA 4.0
Des scientifiques de l’EPFL ont créé un modèle organoïde 3D évolutif qui reproduit les caractéristiques clés des premiers stades de développement des membres. Ils révèlent ainsi comment un centre de signalisation spécialisé détermine à la fois l’identité cellulaire et l’organisation tissulaire.
Aux premiers stades de développement, l’embryon construit les organes du corps en échangeant des signaux chimiques entre différents types de cellules. Lors de la formation des membres, une fine bande de cellules cutanées à la surface de la structure, appelée «crête apicale ectodermique» CAE), envoie des signaux qui guident la population sous-jacente à mesure qu’elle grandit et forme os, cartilage et tissu conjonctif.
La CAE est difficile à étudier, car elle ne se forme que brièvement dans l’embryon et sécrète plusieurs types de molécules de signalisation à la fois. Étudier ces interactions dans les embryons est complexe, c’est pourquoi les scientifiques se tournent souvent vers les organoïdes. Ces minuscules organes cultivés en laboratoire offrent un moyen contrôlé d’étudier le comportement des cellules et leur interaction lors de la formation des tissus.
Mais la plupart des modèles organoïdes apparentés aux membres se sont concentrés uniquement sur le mésoderme, sans tenir compte de la CAE et des autres cellules cutanées (ectoderme de surface) qui orchestrent la formation des membres. «Sans examiner les caractéristiques du centre de signalisation CAE, il est impossible de comprendre pleinement comment les destins cellulaires des membres sont coordonnés ou comment les tissus se positionnent dans le corps et acquièrent leur forme», explique le professeur Can Aztekin.
À l’EPFL, Can Aztekin (aujourd’hui au Laboratoire Friedrich Miescher de la Société Max Planck) a dirigé une équipe qui a produit des organoïdes tridimensionnels appelés «budoïdes». Ceux-ci présentent plusieurs caractéristiques des membres en développement, notamment la rupture de symétrie (première étape de la formation des membres) et la formation précoce du cartilage. L’étude a été publiée dans Science Advances.
Pour fabriquer les budoïdes, les scientifiques ont cultivé des cultures mixtes à partir de cellules souches embryonnaires de souris qui ont produit des populations d’ectoderme de surface et de mésoderme de type CAE, soit tous les types de cellules présents dans un membre en développement. Une fois agrégées, ces cellules se sont auto-organisées en structures tridimensionnelles, créant ainsi des budoïdes. Les chercheuses et chercheurs ont ensuite utilisé ce système pour étudier comment les cellules de type CAE guident l’organisation émergente du tissu.
Les scientifiques ont fabriqué des budoïdes en cultivant des cultures de cellules souches mixtes qui ont formé naturellement les principaux types de cellules impliqués dans les stades précoces de développement des membres. Puis, il les ont laissé s’assembler en structures 3D simples. Cette configuration leur a permis d’observer le tissu en train de commencer à former un membre, de distinguer le cartilage. Ils ont aussi pu tester comment les cellules de type CAE ont influencé ces événements en décomposant le système et en le reconstruisant de manière contrôlée. Ainsi, ils ont eu une meilleure idée de la façon dont les premiers signaux de croissance orchestrent les tout premiers stades de la formation d’un membre.
Les budoïdes offrent un système pratique pour analyser comment les centres de signalisation comme la CAE influencent la formation précoce des tissus. Ils permettent d’étudier des aspects du développement embryonnaire auparavant difficiles à examiner, tels que la coordination cellulaire, la formation des premières structures et du cartilage. Les implications dépassent la recherche fondamentale et pourraient ouvrir des applications médicales en lien avec la modélisation des malformations congénitales, les tests de produits chimiques susceptibles de nuire au développement des membres et même la promotion de la régénération.
«Les budoïdes offrent une alternative plus éthique pour l’étude du développement des membres, un domaine qui s’est beaucoup appuyé sur les animaux, précise Can Aztekin. Vu que ces méthodes basées sur les cellules souches reproduisent des caractéristiques principales des tissus embryonnaires, de nombreuses expériences qui nécessitaient autrefois un grand nombre d’embryons peuvent désormais être réalisées dans des systèmes organoïdes contrôlés sans avoir recours aux animaux. Cela permet des études mécanistiques à haut débit et contribue à remplacer ou à réduire l’utilisation d’animaux dans la recherche sur le développement.»
Autres contributeurs
- Laboratoire Friedrich Miescher de la Société Max Planck
- Centre de compétences en bio-informatique de l’EPFL
- Université de Cantabrie
- Université technique de Dresde
- Centre d’innovation Roche
Fonds national suisse de la recherche scientifique (PNR 79 «Advancing 3R»)
Bourse ELISIR de la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL
Fondation Gabriella Giorgi-Cavaglieri
Bourse Branco Weiss
Fondation Novartis pour la recherche médicale et biologique
Evangelia Skoufa, Jixing Zhong, Kelly Hu, Oliver Kahre, Georgios Tsissios, Louise Carrau, Antonio Herrera, Albert Dominguez Mantes, Marion Leleu, Alejandro Castilla-Ibeas, Hwanseok Jang, Martin Weigert, Gioele La Manno, Matthias Lutolf, Marian Ros, Can Aztekin. Specialized signaling centers direct cell fate and spatial organization in a mesodermal organoid model. Science Advances 28 novembre 2025. DOI: 10.1126/sciadv.ady7682