Des matériaux autoréparables inspirés des plantes

Coupe transversale d’une tige de lin “Drakkar” blessée longitudinalement 26 jours auparavant © 2017 Cloé Paul-Victor, Albert-Ludwigs-Universitat Freiburg

Coupe transversale d’une tige de lin “Drakkar” blessée longitudinalement 26 jours auparavant © 2017 Cloé Paul-Victor, Albert-Ludwigs-Universitat Freiburg

Des chercheurs du Laboratoire de mise en œuvre de composites à haute performance et du Jardin Botanique de la Albert-Ludwig-Universität Freiburg ont étudié la façon dont la plante de lin s’autorépare suite à une agression. Dans le cadre d’un projet européen interdisciplinaire, ils ont mesuré les changements des propriétés mécaniques de cette plante, comme la flexibilité ou l’amortissement, et observé la façon dont la blessure guérit suite à une coupure. Les fibres naturelles étant de plus en plus utilisées dans la production de matériaux composites, comprendre leurs mécanismes d’autoréparation permettra de trouver des stratégies inspirées de la nature pour continuer de développer des matériaux composites autoréparables. Ils publient leurs résultats dans le journal PLOS ONE.

La peinture de votre voiture qui se régénère toute seule en cas de rayure ou un revêtement anti-corrosion qui s’autorépare après une agression : si les matériaux autoréparables ou self-healing materials commencent à trouver des applications concrètes, de nombreux aspects restent encore à développer. «La difficulté dépend du type de matériaux», explique Véronique Michaud, l’une des auteurs de cette publication et à la tête du Laboratoire de mise en œuvre de composites à haute performance (LPAC). «Certains d’entre eux peuvent déjà se régénérer eux-mêmes, grâce à un système de circuits installés à l’intérieur qui contiennent du liquide. En cas de cassure, le liquide sort et réagit, à l’air par exemple, et bouche la fissure. Un peu comme pour une blessure chez l’homme, lorsque le sang coagule». Mais pour d’autres types de matériaux, cela est beaucoup plus difficile, et l’avancement reste au stade du laboratoire. C’est notamment le cas des matériaux composites, sur lesquels travaillent le LPAC et utilisés dans les domaines de l’aéronautique ou de l’équipement sportif.

Les propriétés mécaniques de la plante changent

Or dans la nature, les plantes doivent répondre à toute sorte de sollicitations, comme le vent, la pluie, les cassures, et y résister. C’est à partir de ce constat que les chercheurs ont décidé d’observer les changements qui se produisent dans la tige du lin en cas de coupure, en collaboration avec une post-doctorante biologiste de la Albert-Ludwig-Universität Freiburg, que le LPAC a accueillie. «Nous avons choisi cette plante, d’une part car ses fibres sont déjà utilisées dans la fabrication de matériaux composites, et d’autre part car c’est une plante commune qui pousse rapidement», indique Véronique Michaud. Les chercheurs ont effectué des coupures longitudinales et transversales sur les tiges de deux familles de lin différentes, puis les ont laissées pousser pendant 25 jours, au côté de plantes non blessées. Ils ont ensuite mesuré les changements des propriétés mécaniques de la plante, à savoir sa flexibilité et son amortissement, suite à cette agression. En effet, rigidité et amortissement sont aussi des éléments centraux à améliorer dans le domaine des matériaux. Qu’il s’agisse d’éviter les vibrations très désagréables dans les voitures, pour que votre vélo assume les chocs correctement ou que votre raquette de tennis joue son rôle, il faut toujours trouver un compromis entre la rigidité du matériau d’un côté et l’amortissement de l’autre.

Des réactions différentes selon le sens des blessures

Afin d'observer ces changements, les tiges de plantes ont été soumises à des sollicitations dynamiques en traction, pour mesurer la force nécessaire pour les déformer et leur réponse temporelle, à l'état initial ou auto-réparé. Tous les tests et les machines utilisés pour le lin ont été les mêmes que ceux employés lors de tests sur les matériaux composites. Les chercheurs ont observé un comportement très différent de la plante selon les blessures : en cas de coupure longitudinale, des cellules viennent border la blessure et créent une sorte de peau, mais la blessure ne se régénère pas. Par contre, en cas d’agression transversale, les cellules viennent remplir l’espace créé par la coupure et guérissent presque complètement la blessure, atteignant 95% des propriétés mécaniques de la plante de base. D’autres expériences menées par la Albert-Ludwig-Universität Freiburg démontrent que cette réaction varie selon les plantes, en fonction de la «gravité» de la blessure pour l’espèce et sa survie dans son environnement. Au final, les plantes blessées ont poussé moins haut que celles épargnées, mais toutes ont fleuri et fait des graines. Cette recherche a permis de quantifier pour la première fois les propriétés mécaniques de plantes de lin et leur capacité à les régénérer, ainsi que pour le LPAC d’effectuer ses premiers tests sur des plantes avec des outils de laboratoire dédiés initialement aux matériaux synthétiques. Celui-ci espère surtout continuer à s’inspirer des mécanismes en place dans la nature pour développer de nouvelles stratégies à appliquer au développement de structures composites.

Cette recherche a été menée dans le cadre du Projet Européen Marie Curie SHEMAT (Initial Training Network, no 290308, "Self-Healing Materials: from Concepts to Market"), en collaboration avec la Albert-Ludwig-Universität Freiburg en Allemagne.

Sur la droite, la photo montre une coupe transversale d’une tige de lin “Drakkar” au même stage de maturation, (A) plante contrôle non blessée, (b) plante blessée longitudinalement 26 jours auparavant, (C) plante blessée transversalement 26 jours auparavant.


Auteur: Clara Marc

Source: EPFL


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© 2017 Cloé Paul-Victor, Albert-Ludwigs-Universitat Freiburg
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