Des étudiants imaginent Lausanne sans voiture
Un projet de master en architecture redessine le centre de la capitale vaudoise. Il décrit les étapes clés qui pourraient mener la ville à se libérer de l’emprise de la voiture à l’horizon 2035. D’autres villes européennes en prennent déjà le chemin.
Eliminer purement et simplement la voiture du centre-ville de Lausanne. L’idée a germé dans l’esprit de deux étudiants en architecture au moment de définir leur projet de master.
Les étudiants notent qu’un bâtiment se trouve au cœur de la problématique, celui du parking de Saint-François. L’immeuble relie le centre-ville et le quartier du Flon. Son rôle pourrait devenir stratégique dans un centre-ville sans voiture. Ils décident donc de l’agrandir et de le transformer de fond en comble: «Notre bâtiment contient un restaurant, un marché coopératif avec des produits de la région et un hôtel pour les personnes effectuant un séjour de moyenne durée à Lausanne, à l’exemple des artistes, conférenciers et entrepreneurs. Il y aurait aussi des espaces de vie communs et un espace de co-working pour favoriser les échanges entre ces populations», explique Flavien Davin.
Les étudiants ajoutent également un escalier public qui longe l’immeuble. «Nous avons souhaité redonner un rôle important à ce «bâtiment-patchwork» qui se situe au-dessus d’un point névralgique des transports publics lausannois, détaille Bernard Valette, co-auteur du projet. Actuellement, les usagers utilisant le parking n’ont aucun lien avec ceux des nombreux transports publics situés au sous-sol du bâtiment. Nous voulions donc amener plus de cohérence à sa fonctionnalité.»
Zone piétonne et centres de logistique
Leur projet s’étend ensuite autour de la gare du Flon, troisième gare de Suisse romande en termes de fréquentation. «Nous avons imaginé transformer le centre-ville, entre le quartier du Flon et Saint-François, en vaste zone piétonne. Cela nécessite de renforcer les transports publics et de revoir toute la logistique de la ville», explique Bernard Valette. Les étudiants tiennent alors compte de l’impact du futur M3, qui renforcera le lien entre le nord et le sud de la ville, et de la future ligne de tram reliant le Centre à l’Ouest lausannois. Ils dessinent ensuite une deuxième ligne de tram entre Morges et Lutry, afin de désengorger le trafic de transit au sud de la ville.
Un centre-ville sans voiture nécessite une révolution de l’acheminement des marchandises vers ses commerces et ses habitants. Les étudiants implantent ainsi trois grands «centres de logistique» autour de Lausanne. Toutes les marchandises destinées aux commerces et aux habitants de la ville y seraient livrées. Ces points stratégiques redistribueraient ensuite les colis dans des centres de logistiques secondaires ou directement chez les particuliers à l’aide de navettes électriques. Ce procédé doit éviter aux habitants de devoir se déplacer en périphérie pour acheter des marchandises nécessitant un véhicule, à l’exemple de meubles.
Après avoir renforcé les transports publics et créé les centres de logistique, il devient possible d’éliminer la voiture du centre-ville, selon les étudiants. «Faire disparaître la voiture permettrait de gagner huit quartiers du Flon, en termes de surface», précise Bernard Valette. Les anciennes rues seraient fortement végétalisées afin de faire oublier l’idée que seule la voiture permet d’accéder au paysage et à la nature.» Pour marquer cette étape, les étudiants font disparaître les trottoirs des rues. A Saint-François, par exemple, les transports publics passent au centre de la chaussée. L’espace restant est laissé aux terrasses et à la végétation. Plus bas, une partie des rues du Flon est transformée en forêt. En respectant les étapes prévues par les étudiants, le centre-ville de Lausanne pourrait devenir entièrement piéton à l’horizon 2035.
Des évolutions auxquelles s’attendre
Tout ceci est-il réaliste? Il faut le croire, car un projet similaire est déjà prévu à Oslo pour 2019. La ville de Bruxelles y songe aussi. Paris a même fermé cette année sa rive droite aux voitures, à la suite de sa rive gauche, en 2013. Pour Emmanuel Rey, directeur du Laboratoire d’architecture et technologies durables (LAST) et directeur pédagogique du projet de master, la réflexion des étudiants répond à des enjeux importants: «Il faut se rappeler que les villes ont vécu des évolutions extrêmes avec l'essor de l'automobile, symbole de la modernité triomphante, dans la seconde moitié du 20ème siècle. A Lausanne, il y avait par exemple 66 km de lignes de tramways en 1930. Ces derniers furent ensuite complètement abandonnés en 1964 pour réapparaître aujourd'hui comme l’un des axes forts du projet d'agglomération Lausanne-Morges. Dans un contexte caractérisé par la densification du milieu bâti et par la transition énergétique, il faut s’attendre à des évolutions fonctionnelles importantes dans tous les territoires urbains.»
Une solution à deux problèmes
Un facteur générationnel serait également en jeu, selon les auteurs du projet: «Pour les moins de 30 ans, la voiture n’est plus forcément un symbole de liberté. Beaucoup n’ont plus le permis et ne voient tout simplement plus son intérêt. La croissance du nombre de véhicules stagne d’ailleurs dans le canton de Vaud depuis 5 ans», souligne Flavien Davin, qui s’inscrit lui-même dans cette génération. «Tout au long de nos études, nous nous sommes rendus compte que la voiture créait un certain nombre de problèmes en ville. Or, en l’éloignant du centre, nous réglons deux problèmes en un: nous améliorons la qualité de vie des citadins et permettons une meilleure densification des villes. Nous voulions proposer un projet visionnaire mais réaliste. Même si l’idée de centre-ville sans voiture fait encore peur.»