Des économies ciblées pour rester au plus haut niveau
Martin Vetterli, président de l’EPFL, explique la situation budgétaire actuelle de l’institution. Sa vision: même si tout sera mis en place pour limiter une réduction de budget, il faut se préparer à un budget de fonctionnement réduit et préparer des coupes qui épargnent les domaines clés.
Martin Vetterli, vous vous attendez à ce que le budget de l’EPFL ne suive plus la courbe habituelle, soit une augmentation stable d’année en année. Pourquoi?
Il suffit de regarder autour de nous: le monde est en train de subir une série de crises qui ont un impact profond. La Confédération a dû investir massivement pour que le pays traverse sans trop de dommages la crise COVID. Mais à peine ces années difficiles passées, l’attaque contre l’Ukraine a, en plus de son impact terrible sur les habitants du pays, déstabilisé l’économie, faisant grimper le prix des matières premières et de l’énergie. Combinée à d’autres facteurs économiques, cette instabilité a provoqué une inflation généralisée. Alimentation, transports, logement: nous sommes en ce moment dans une période difficile pour tout citoyen.
Oui, mais permettez-nous de revenir à la question: pourquoi le budget de l’EPFL devrait-il être en diminution pour les années à venir?
D’abord, nous sommes déjà affectés par la crise cette année. Nous l’avons vu en octobre 2022 avec les prix de l’électricité. Nous le voyons tous les jours quand nous achetons des fournitures – de l’hélium ou de l’azote pour nos labos, des micro-ondes pour équiper les cafétérias, du mobilier, etc. Les salaires ont également été indexés à l’inflation, comme le demande le CEPF, à hauteur de 2,5%. C’est une excellente nouvelle pour nos employés, mais là encore avec un impact sur notre budget . Actuellement, nos coûts de fonctionnement augmentent déjà plus vite que le budget!
Et pour les années à venir, nous subirons très probablement une double peine: je m’attends à ce que la Confédération nous alloue une enveloppe inférieure à ce que nous attendions, et cela jusqu’à 2028. Concrètement: on parle de l’ordre de 2% de moins par rapport à nos attentes.
Et… vous vous laissez faire?
Je vous répondrai en deux temps. En période de crise, il faut continuer à investir sur l’avenir. Or l’EPFL – et la formation ainsi que la recherche en général – est un investissement à long terme, qui permet à la Suisse de faire face aux défis de demain. Nous faisons, avec les équipes du secrétariat général et de Mediacom de même qu’avec nos collègues de l’ETHZ et du Conseil des EPF, tout notre possible pour faire passer ce message dans les départements à Berne, auprès des entreprises, des politiciens, des cantons, etc. Mais il faut être réaliste: l’entier du pays doit s’adapter à une situation tendue et il n’est pas imaginable que l’EPFL ne fasse pas sa part.
Au cours des dernières années, nous avons pu constituer des réserves par une gestion saine des ressources allouées par la Confédération et celles-ci sont d’ores et déjà allouées soit pour faire face à des éléments exceptionnels soit pour investir dans le futur de l’éducation et de la recherche.
Nous avons, par exemple, déjà décidé de réduire nos réserves à zéro. Ces réserves nous servent à absorber la hausse des coûts de l’électricité, l’achat du STCC qui est un investissement pour l’avenir ou encore la rénovation de la Coupole pour avoir les salles pour accueillir le nombre croissant d’étudiantes et d’étudiants. Il n’est pas audible à Berne – et la population ne comprendrait pas non plus – que nous nous plaignions alors que, avec l’ETHZ et les institutions de recherche du domaine des EPF, nous cumulions plus de 1,4 milliard de francs de réserve à fin 2022.
Ces réserves, elles nous servent donc pour passer la crise. Et après, l’EPFL pourra reprendre son rythme habituel?
Malheureusement, ce n’est pas ce que prévoient mes collègues de la vice-présidence des finances qui analysent presque en temps réel les indicateurs macro-économiques (inflation, prix des matières premières, etc.) et leur impact sur l’EPFL. Ni ce qui semble se préparer à Berne. Nos réserves nous permettront d’investir judicieusement ces trois prochaines années, mais elles seront à zéro en 2027. C’est pour ne pas nous retrouver dans une situation de déficit à ce moment-là que nous devons réduire nos coûts de fonctionnement à long terme.
Soyez plus concret: “réduire nos coûts de fonctionnement à long terme”, c’est-à-dire?
Si nous continuons à dépenser comme actuellement, selon le scénario que nous privilégions en ce moment, nous serons en déficit jusqu’en… 2030 voire 2031. Et il faut savoir que nous étions plus optimistes à la fin de l’année passée. On est donc dans une situation qui va en se dégradant. Ce que j’ai annoncé au personnel de l’EPFL le 30 mai, c’est une réduction de 5% de nos dépenses. Elle se traduira par des économies ciblées. Cela nous permettra de rester au plus haut niveau en investissant dans des projets prioritaires. Nous économisons donc un peu plus d’un côté pour garder de quoi investir de l’autre, là où nous devons exceller: l’éducation, la recherche et l’innovation.
Quels investissements prévoyez-vous dans l’éducation?
Il s’agit en particulier d’augmenter le nombre de salles de cours. Notre population estudiantine augmente d’année en année, et les conditions d’études et d’enseignement atteignent parfois leur limite. Concrètement, le projet qui aura le plus d’impact consiste à rénover La Coupole, comme évoqué précédemment, et les espaces environnants pour de nouvelles salles de cours et de nouveaux espaces de travail.
Et dans la recherche?
Là aussi, c’est la construction d’un outil qui manque cruellement à l’EPFL. Nous sommes en train de planifier la construction d’un “advanced science building” qui doit héberger une infrastructure de premier plan pour la communauté des chercheurs de l’EPFL. Mais même dans ce cas, nous cherchons à le faire en optimisant aussi les coûts de construction et en choisissant le bon moment pour que cela puisse entrer dans le cadre budgétaire. Il n’y aura pas de construction luxueuse, chaque détail est réfléchi et sa valeur ajoutée mesurée finement.
Investir dans l’innovation, c’est investir à l’Innovation Park pour les entreprises?
Pour un institut de technologie, le lien étroit avec les entreprises est essentiel. Il y a du côté de la vice-présidence pour l’Innovation l’ambitieux projet Ecotope, dont nous avons déjà parlé. Son plan de financement repose sur des investisseurs et mécènes externes, dont le Canton de Vaud. L’EPFL a investi la somme de départ d’environ 1 million. Et il y a d’autres projets en cours, avec un financement complet de l’EPFL, qui nous permettront d’assurer un leadership dans des domaines d’avenir. Solution for Sustainability: 20 millions pour des projets en durabilité, qui partent de la recherche et aboutissent à des démonstrateurs (j’espère sur nos campus) avant d’être transmis à des industries. Cette initiative ne sert pas que l’EPFL, elle sert la Suisse. Idem pour le Center for Green Energies, qui est interconnecté à Solutions for Sustainabilty, mais se concentre sur le stockage des énergies vertes. Nous cherchons des contributions à l’externe, mais il est inimaginable que l’EPFL elle-même ne donne pas l’impulsion en contribuant au financement initial. En matière d’intelligence artificielle aussi: je ne veux pas que nous laissions l’industrie mener seule l’innovation dans ce domaine. C’est une responsabilité de l’EPFL que de s’y intéresser et de développer sa propre approche. Là aussi, il nous faudra investir (notamment en matériel), même si nous avons déjà des discussions très encourageantes avec plusieurs entreprises.
Ce sont donc les services centraux qui doivent réduire leurs coûts? L’administration?
Si nous voulons passer ce cap, il faut réfléchir globalement et c’est cette approche que nous avons choisie. Il y a peut-être au sein des services centraux des économies à faire. Attention toutefois à ne pas reproduire ce qu’on a observé par le passé: si on coupe d’un côté pour recréer de l’autre, ce n’est pas forcément plus économique. Doyens, vice-présidents – en particulier au niveau de la vice-présidence pour les opérations (VPO) et les finances (VPF) – planchent sur des pistes d’économies ensemble. Un exemple: la communication. Il y a des communicateurs et communicatrices en central, mais aussi de manière décentralisée. Il en est de même pour l’organisation d’événements. C’est normal et je suis très fier de cette approche pragmatique: au fil des ans, l’institution se développe presque organiquement en fonction des besoins. Avec cet exercice, c’est l’occasion de se demander s’il ne faut pas simplifier son organisation qui, avec les années, s’est complexifiée, avec des redondances, un manque de clarté sur les rôles de chacun et chacune, des dépenses peut-être inutiles.
Concrètement, comment travaillent ces gens?
Concrètement, il y a sept groupes de travail et chacun planche sur une thématique: l’enseignement (sous la houlette de Jan S. Hesthaven); le fonctionnement des centres (Jan aussi); les ressources humaines (Matthias Gäumann); les achats (Matthias également); les redondances et “héritages” (Françoise Bommensatt et Gaël Hürlimann) et un dernier en construction autour de l’efficience et des processus. D’autres groupes seront créés au besoin si l’on voit émerger de nouvelles pistes d’économies.
Et il n’y a personne de l’opérationnel, dans ces groupes?
D’abord, chaque groupe fait évidemment appel aux experts du domaine pour mener ses analyses. Je crois que personne n’imagine l’EPFL fonctionner sans assistantes et assistants administratifs, électriciens, spécialistes achats, etc. Mais il serait injuste de faire porter des décisions de coupes budgétaires sur leurs épaules. C’est à la direction et à la présidence d’assumer ce rôle.
Les employés n’ont donc pas leur mot à dire?
Si. Nous avons ouvert une boîte à suggestions et il y a à ce jour plus de 150 propositions. La plupart sont de très bonne qualité et vont nourrir les groupes de travail. La bonne nouvelle, c’est que près de 60% des propositions rejoignent les pistes et les thèmes identifiés en direction. Pour le reste, nous analysons avec mes collègues la thématique abordée, le potentiel d’économie et la difficulté ou non à économiser. Dès qu’une idée pointe une économie qui nous semble intéressante, nous déterminons qui va la transformer en un vrai projet.
Un exemple concret, s’il vous plaît.
Je vous promets, ce n’est pas moi qui l’ai soumis, mais celui-ci me touche particulièrement: “Ne plus payer d’abonnements aux éditeurs, en accord avec le consortium des bibliothèques et universités suisses, faisant ainsi évoluer les accords dans un sens qui économise de l’argent et pousse à l’adoption d’autres formes de publications.” Je suis un défenseur de l’Open Science et pourtant cette solution ne m’a jamais paru réaliste. Or, j’observe maintenant que de plus en plus de chercheurs et chercheuses se rallient à cette idée. Peut-être pouvons-nous faire d’une pierre deux coups: économiser des centaines de milliers de francs et contribuer à faire changer le système de la publication scientifique. Typiquement, sur cet exemple, nous allons avec le département Open Science évaluer précisément les montants en jeu et la faisabilité d’une rupture de contrat.
Vous n’avez jamais évoqué l’emploi. Est-ce que vous prenez l’engagement de préserver l’emploi à l’EPFL?
Nous allons tout faire pour le préserver. D’abord, nous identifions de simples optimisations. Des économies liées à des frais externes ou de petites choses auxquelles renoncer. Puis des non-renouvellements de postes, mais cela ne doit pas peser et faire augmenter la charge de travail sur des collègues déjà sous pression. En dernier recours, il peut y avoir des pistes où nous renonçons à certains services et où il faudra étudier si les employés peuvent retrouver une place à l’interne. Mais il est important de garder ces priorités en tête jusqu’à la fin de l’année: le budget 2024 n’est pas encore voté, et les indicateurs économiques bougent sans cesse. Ni moi ni les économistes les plus chevronnés ne pouvons dire si la situation budgétaire et économique sera la même en fin d’année. Nous allons devoir apprendre à nous questionner en permanence et revoir nos plans régulièrement, car nous devrons travailler sans la confortable marge qui était la nôtre et qui s’est traduite par des réserves aussi importantes.
Vous avez servi à manger durant le Town hall, c’est un peu contradictoire, non?
Il ne s’agit pas de renoncer à tout. Dans certains domaines, réaliser 5% d’économie signifie juste dépenser moins. Un “brown bag” comme celui distribué durant la séance plénière coûte moitié moins qu’un buffet. On a donc fait 50% d’économies. Mais rassurez-vous, nous restons à l’objectif de 5%, cet exemple n’est pas généralisable.
Cette interview précise et complète des éléments évoqués durant le Townhall du 30 mai.