Des cures de jouvence pour les connexions nerveuses

Des scientifiques de l’EPFL ont découvert qu’une forme de communication interneuronale qu’on a longtemps considérée comme du «bruit cérébral» est nécessaire pour préserver les jonctions nerveuses du vieillissement. Ces résultats suggèrent que des anomalies touchant ce type de communication neuronale pourraient contribuer à l’apparition de maladies neurodégénératives et d’autres affections cérébrales.

Les neurones communiquent grâce à de rapides signaux électriques qui régulent la libération de neurotransmetteurs, ces messagers chimiques du cerveau. Les signaux électriques sont transmis à travers un neurone puis, à la jonction avec un autre neurone, une zone appelée synapse, ils entraînent la libération de gouttelettes remplies de neurotransmetteurs, qui passent l’information au neurone suivant. Ce type de communication interneuronale est appelé neurotransmission évoquée.

Cependant, la synapse peut libérer des gouttelettes de neurotransmetteurs même en l’absence d’impulsion électrique. Pendant longtemps, on a considéré ces libérations miniatures (ou minis) comme du «bruit de fond», explique Brian McCabe, directeur du Laboratoire de génétique et de maladies neurales et professeur à l’Institut des neurosciences de l’EPFL.

Cependant, plusieurs études ont suggéré qu’elles avaient pourtant une fonction, et pas des moindres. En 2014, par exemple, Brian McCabe et son équipe ont démontré l’importance des minis pour le développement de synapses. Si les neurones du cerveau étaient un réseau d’ordinateurs, les libérations évoquées seraient des paquets de données avec lesquels les machines échangeraient des informations, tandis que les minis seraient des pings, de brefs signaux électroniques qui permettent de déterminer si deux ordinateurs sont connectés, compare le scientifique. «Les minis sont les pings que les neurones utilisent pour dire ‟Je suis connecté”.»

Afin d’évaluer si les minis pourraient jouer un rôle dans le système nerveux mature, Soumya Banerjee, chercheur postdoctoral au sein de l’équipe de McCabe, et ses collègues ont entrepris d’étudier un ensemble de neurones qui contrôlent le mouvement chez les drosophiles. Les chercheurs ont découvert qu’à mesure que les insectes vieillissaient, leurs synapses se morcelaient en fragments plus petits (un phénomène similaire a lieu chez les mammifères vieillissants, y compris les êtres humains). Alors que les jonctions nerveuses se décomposaient, tant la neurotransmission évoquée que la neurotransmission miniature étaient freinées, et les drosophiles présentaient des problèmes moteurs tels qu’une capacité réduite à grimper sur les parois d’un flacon en plastique.

Les terminaux moteurs (en vert) et les muscles (en rouge) des drosophiles adultes se dégradent progressivement avec l’âge. © Laboratory of Neural Genetics and Disease / EPFL
Terminaux synaptiques neuromusculaires de la drosophile adulte. Motoneurones (bleu), boutons synaptiques (rouge) et sites de libération des neurotransmetteurs (vert). © Laboratory of Neural Genetics and Disease / EPFL

Ensuite, les chercheurs ont évalué ce que cela provoquait de stimuler ou d’inhiber les neurotransmissions évoquée et miniature. Lorsque les deux types de neurotransmission étaient bloqués, les synapses ont vieilli prématurément, suggérant que, lors du vieillissement ou de maladies neurologiques associées à l’âge, des changements ont lieu au niveau de la neurotransmission avant que les synapses se désagrègent. Selon Brian McCabe, ces résultats chamboulent une idée émise de longue date en neuroscience. «Pendant longtemps, on pensait que la détérioration de la structure synaptique entraînait un changement fonctionnel dans la synapse, mais nous avons découvert que c’est l’inverse», relève-t-il.

Les chercheurs ont constaté que stimuler seulement la neurotransmission évoquée n’a pas d’effet sur les synapses vieillissantes. Toutefois, augmenter la fréquence des minis permet de préserver les synapses et maintient la motricité de drosophiles d’âge moyen à un niveau comparable à celui de jeunes drosophiles. «La motricité décline avec l’âge chez tous les animaux, y compris les êtres humains, et ça a donc été une merveilleuse surprise de voir que nous pouvons changer cela», souligne Brian McCabe.

Modèle des changements structurels des synapses à la jonction neuromusculaire en conséquence du déclin de la neurotransmission miniature avec l’âge. Avec le vieillissement, la neurotransmission miniature diminue, entraînant une réduction de la taille des synapses, qui se fragmentent en morceaux plus petits. Réduire la neurotransmission miniature accélère le processus de fragmentation du bouton chez les jeunes individus, tandis que l’augmenter permet de retarder la fragmentation de la synapse et d’améliorer la motricité chez les individus âgés. © Laboratory of Neural Genetics and Disease / EPFL

Ces résultats, publiés dans Nature Communications, pourraient avoir d’importantes conséquences pour la santé des personnes: les minis ont été observés dans tous les types de synapses étudiés jusqu’à présent, et les anomalies touchant la neurotransmission miniature ont été associées à une série de troubles du neurodéveloppement chez les enfants. Comprendre comment une réduction de la neurotransmission miniature modifie la structure des synapses et comment ce changement affecte à son tour le comportement pourrait aider à mieux appréhender les troubles neurodégénératifs et d’autres affections cérébrales.

Description animation:Chez la drosophile adulte, les boutons synaptiques moteurs (en rouge) et les zones actives de libération de neurotransmetteurs (en vert) se fragmentent progressivement avec le vieillissement.

Références

Banerjee, S., Vernon, S., Jiao, W. et al. Miniature neurotransmission is required to maintain Drosophila synaptic structures during ageing. Nat Commun 12, 4399 (2021). https://doi.org/10.1038/s41467-021-24490-1


Auteur: Giorgia Guglielmi

Source: EPFL