Des chercheurs donnent un coup de chaud aux mystères de l'ultra-froid
Une équipe internationale de chercheurs, dont des scientifiques de l’EPFL, reçoit ce 28 septembre les honneurs de la prestigieuse revue «Nature». A l’aide de particules à mi-chemin entre le monde de la lumière et le monde des solides, les scientifiques prouvent qu’il est possible de réaliser des condensats de matière à une température encore jamais atteinte jusqu’alors. Par ce tour de force, les scientifiques lèvent une barrière posée lors de l’observation de ce «cinquième état de la matière», objet du Prix Nobel de physique en 2001.
Le laser est très souvent associé à l’idée de chaleur. Depuis une vingtaine d’année, c’est pourtant pour refroidir les atomes à une température extrêmement basse, de l’ordre du microkelvin, que les physiciens arrivent à réaliser ce que Satyendranath Bose et Albert Einstein avaient prédit en 1924 déjà: la possibilité de plonger toutes les particules d’un gaz dans un état quantique doté de propriétés spectaculaires. Dans cet état, les résistances traditionnelles s’effacent: les métaux deviennent supraconducteurs et les liquides superfluides. Le seuil de température restait jusqu’alors si bas que tout espoir de pouvoir tirer parti des propriétés quasi magiques de ces condensats dans le monde classique se révélait malheureusement compromis.
Des scientifiques de l’EPFL, des universités de Grenoble, de Cambridge, Oxford et du MIT viennent de jeter un jalon vers ce futur prometteur. En utilisant des polaritons, une particule dont la masse est 10'000 fois plus faible que celle d’un électron, les chercheurs ont réussi pour la première fois à réaliser une condensation de Bose-Einstein à une température de quelque 19 Kelvin
(-254 degrés Celsius). L’atteinte de ce seuil indique, selon les spécialistes, qu’il est théoriquement possible de réaliser des condensats de matière à température ambiante. Surtout, les scientifiques ont prouvé que ce type d’expérience était possible pour des matériaux semi-conducteurs. Une prouesse qui a décidé «Nature» à y consacrer sa «une».
«Un condensat, c’est un peu comme une formation d’étourneaux en vol», explique le professeur Benoît Deveaud-Plédran, directeur du Laboratoire d'optoélectronique quantique de l’EPFL et du pôle de recherche national photonique quantique (NCCR-QP). «Suffisamment refroidie, chaque particule s’oriente dans la même direction et forme un tout cohérent avec ses voisines. Les atomes perdent alors leur individualité et s’accumulent au même niveau quantique». En quelque sorte, les chercheurs sont arrivés à faire avec la matière ce que l’on sait faire aujourd’hui avec les lasers, lesquels ne sont rien d’autre que des condensats de photons, les particules constitutives de la lumière.
Cet axiome a priori simple se révèle évidemment délicat à réaliser en laboratoire. Les physiciens ont dû utiliser des trésors d’imagination pour permettre aux particules de former un agrégat stable, d’une cohérence temporelle et spatiale suffisantes pour que le phénomène puisse être observé et mesuré. Et si la durée de vie des polaritons semble encore rédhibitoire – elle ne dépasse pas le millionième de millionième de seconde – la température atteinte par les chercheurs indique que la fin de l’ère glaciaire est peut-être déjà programmée pour certains effets quantiques.
A quand des ordinateurs quantiques ou des matériaux supraconducteurs fonctionnant à température ambiante? Impossible bien sûr d’en fixer le terme. «Nous commençons à peine l’exploration des bases physiques de ce type de phénomène. Mais nous pensons que les polaritons pourront être manipulés un peu comme nous savons le faire avec les électrons. Ceci nous permettrait d’agir directement sur le condensat», analyse Benoît Deveaud-Plédran. De la même manière que les transistors ont remplacé les lampes à vide au milieu du vingtième siècle, les technologies qui pourraient naître de ce domaine de recherche promettent des développements intéressants.