Des antennes pour sonder la glace en Antarctique et sur mars

projet Polaris

projet Polaris

Fixées sur des avions, de nouvelles antennes créées par les chercheurs de l’EPFL permettent de sonder des couches de glace de plusieurs kilomètres d’épaisseur, ainsi que les rochers qu’elles recouvrent. Une technologie intéressante tant pour les domaines de la géologie et de la climatologie, que pour la recherche spatiale.

C’est une véritable prouesse technique que viennent de réaliser en Antarctique les antennes de haute technologie de l’EPFL, fabriquées par le laboratoire d’électromagnétisme et acoustique (LEMA) du professeur Juan Mosig. Accrochées à un avion, elles ont permis d’analyser avec une précision sans précédent la composition d’une couche de glace épaisse de près de 3000m, et d’étudier le relief du lit rocheux qu’elle recouvre. Une avancée importante qui pourrait intéresser tant les géologues que les climatologues. D’autant plus qu’à l’heure actuelle, il n’existe aucune carte complète et précise des fonds rocheux ensevelis sous la glace.

L’ESA projette un satellite
Hautement sophistiquées, les antennes de l’EPFL s’inscrivent dans un projet de grande ampleur : le programme POLARIS (Polarimetric Airborne Radar Ice Sounder), lancé par l’Agence spatiale européenne (ESA), et dirigé par la Technical University of Denmark (TUD). Si les tests effectués par avion au Groenland l’hiver passé et en Antarctique ce printemps se révèlent concluants, l’objectif sera de fixer ces antennes sur un satellite, pour pouvoir analyser l’entier de la couverture glaciaire terrestre. A terme, l’Agence spatiale européenne vise même à utiliser cette technologie pour étudier les différents types de glace présents sur la planète Mars, ou encore sur les satellites de Jupiter et Saturne.

Comment ça marche ?
La technique est la suivante : Fixées dans la partie inférieure du fuselage d’un petit avion, les huit antennes forment un radar avec une grande surface équivalente (la dimension longitudinale étant donnée par le déplacement de l'avion). C'est le principe du radar à ouverture synthétique (Synthetic Aperture Radar, SAR) fournissant une grande précision de détection. Les antennes génèrent des ondes électromagnétiques à une fréquence de 450 MegaHertz (MHz). Ces ondes se situent dans la bande des "ultra haute fréquences" (UHF). Elles sont donc semblables à celles que l’on trouve dans les télévisions traditionnelles. « En fonction de sa fréquence, une onde peut soit traverser une substance, soit être absorbée par elle, explique le professeur Mosig. Les ondes UHF, sont les plus appropriées pour ce type de projet, car elles percent aisément la glace ».
A chaque changement de propriété de la glace, une partie de l’onde ricoche, renvoyant un écho de petite amplitude, que l’antenne capte. Cet écho est beaucoup plus important lorsque l’onde parvient aux fonds rocheux. « Chaque matière, de par ses propriétés, changera la phase de l’onde renvoyée. Il s’agit d’une signature naturelle. En fonction de cette signature et du temps que l’onde met à revenir, nous pouvons identifier à la fois le type de matière présente à un endroit donné, ainsi que l’épaisseur de la couche qui la recouvre», note le professeur (cf. fig. 1). Les mesures sont ensuite récoltées, analysées et traduites en information utile par la Technical University of Denmark (cf. fig.2).

Figure 1. Le principe de la mesure (ici seulement pour les échos principaux). L'onde envoyée par le radar est partiellement renvoyée par toute couche dont les propriétés matérielles changent brusquement (interfaces). Cela arrive entre l'air et la glace, entre la glace et le sol rocheux et, éventuellement, entre deux types de glace.

L’avantage du réseau d’antennes
Afin d’obtenir une telle précision, les chercheurs de L’EPFL ont dû recourir à plusieurs stratagèmes. « Une antenne traditionnelle a tendance à éparpiller les rayonnements lorsqu’elle diffuse ou réceptionne des ondes », explique le professeur Mosig. L’équipe du LEMA a donc mis en place un réseau de huit antennes dans un dispositif rectangulaire, qui permet d’obtenir une trace d’une précision de quelques dizaines de mètres seulement et avec la meilleure orientation possible. « Chacune de ces antennes émet une partie de l’onde, et lorsque ces diverses émissions se rencontrent, certaines ondes s’annulent, alors que d’autres se renforcent. Grâce à des calculs complexes, nous pouvons ensuite orienter notre onde finale et la rendre la plus pointue possible. » Le professeur indique encore : « Quelques centaines de watts suffisent pour percer ces couches, soit la puissance d’une centaine de téléphones portables (env. 1-2W chacun)».

Pour l’heure, les résultats obtenus laissent déjà présager de grandes avancées pour les recherches terrestres. Professeur de géologie à L’EPFL, Aurèle Parriaux, s’en réjouit. « Nous sommes toujours intéressés par des outils permettant d’analyser les propriétés géophysiques des différents milieux, ainsi que leur structure. Ce projet me paraît très prometteur. » A noter que les mesures récoltées ce printemps seront présentées au 11e International Symposium on Antarctic Earth Science à Edinbourg, en Ecosse.

Figure 2. Exemple typique de détection au Groenland du profil du sol rocheux sur une distance de 300 Km et à une profondeur de 3 Km sous la glace. Le changement continu de couleur reflète l'affaiblissement de l'onde. L'écho crée par le sol rocheux est clairement visible.


Auteur: Laure-Anne Pessina

Source: EPFL