Densifier ou ne pas densifier, telle est la question
Plus les scientifiques en apprendront sur les coûts et les bénéfices de la densification urbaine, plus les urbanistes pourront prendre des mesures éclairées, explique Gabriele Manoli, professeur assistant à l'EPFL, dans cette chronique publiée dans trois quotidiens de Suisse romande.
Depuis les années 1950, l'un des principes fondamentaux de l'urbanisme durable consiste à densifier les zones déjà construites afin d'éviter l'utilisation excessive des sols et l'étalement urbain. Ce concept est encore largement accepté, comme le montrent les dernières recommandations du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui le préconise afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre. La densification est également un paradigme central de la révision de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (LAT). En 2014, le gouvernement suisse a décidé de freiner l'étalement urbain. Les cantons et municipalités mettent désormais en œuvre des objectifs de densification afin de protéger les terres naturelles et agricoles.
Il est évident que les avantages de la densification urbaine sont nombreux. On y associe une plus grande productivité économique, une plus grande proximité entre les individus et les entreprises, une moindre consommation d'énergie liée aux transports, une réduction des émissions anthropiques et une empreinte urbaine moins importante pour subvenir aux besoins d'une population donnée. Toutefois, le paradigme de la densification reste confronté à des défis liés à la qualité de l'environnement. Il entre par exemple en contradiction avec le besoin croissant de végétaliser et de désimperméabiliser les surfaces urbaines.
Le paradigme de la densification reste confronté à des défis liés à la qualité de l'environnement.
Laisser de l'espace à la nature
La préservation et la répartition équitable des espaces verts sont particulièrement importantes pour fournir de services susceptibles d'améliorer directement la santé et le bien-être, tels que la purification de l'air, la réduction du bruit, le refroidissement de la ville et l'atténuation des eaux de ruissellement. La gestion efficace des espaces verts peut aussi avoir des implications économiques importantes. Les pertes annuelles dues aux inondations en Europe se chiffrent en milliards d'euros et, selon un rapport de l’institut de recherche CE Delft publié en 2020, la mortalité due à la pollution de l'air coûte en Europe 1’276 euros par habitant chaque année, soit 385 millions d'euros par ville en moyenne. De même, nos recherches ont montré que le réchauffement urbain peut entraîner une augmentation du risque de mortalité due à la chaleur, avec un impact économique moyen estimé à 192 euros par résident adulte européen et par an. Il est donc clair qu'en investissant dans des projets d’écologie urbaine, les villes investissent indirectement dans la santé publique.
Un sujet de recherche majeur
Alors, faut-il densifier ou dédensifier? La réponse n'est pas aussi simple que nous le souhaiterions, en raison des compromis entre les coûts et les bénéfices du paradigme. À l'heure actuelle, les urbanistes du monde entier manquent de conseils concrets pour décider de l'objectif approprié pour leur ville. Dans notre laboratoire et ailleurs, il s'agit d'un sujet de recherche majeur, et nous disposerons bientôt de résultats scientifiques solides qui permettront d’éclairer la planification urbaine et la prise de décision.
Gabriele Manoli, professeur assistant tenure track, directeur du Laboratoire des systèmes urbains et environnementaux (URBES), EPFL
- Cette chronique est parue en août 2024 dans les quotidiens La Côte (Vaud), Le Nouvelliste (Valais) et Arcinfo (Neuchâtel), dans le cadre d'un partenariat avec le groupe de presse ESH Médias visant à faire connaître auprès du grand public la recherche et l'innovation de l'EPFL dans le secteur de la construction.