«Définir ensemble la durabilité spatiale est un vrai défi»

Un label permettra bientôt d’évaluer l’impact environnemental et socio-économique des missions spatiales. Le centre spatial de l’EPFL, eSpace, a été sélectionné par le consortium à l’origine du projet, comprenant notamment le Forum économique mondial (WEF), pour en finaliser les critères et l’implémenter dans un domaine en pleine transformation.

La mission prend-elle les mesures nécessaires pour éviter de générer de nouveaux débris orbitaux? La réutilisation des pièces et structures est-elle prévue? Quels sont les matériaux choisis en priorité? Désormais, les questions de durabilité se posent également dans le domaine spatial. Un label permettra bientôt de les évaluer, sur la base de différents marqueurs et l'alignement aux directives internationales. C’est le centre spatial de l’EPFL, eSpace, qui a été désigné pour le finaliser et l’implémenter.

Intitulé Sustainable Space Rating (SSR), ce projet est une initiative du Forum économique mondial, (WEF), de l'Agence spatiale européenne (ESA) et du Massachusetts Institute of Technology (MIT), en collaboration avec BryceTech et l'Université du Texas. Réunies en un consortium, ces institutions ont travaillé durant deux ans à une première ébauche de grille d’évaluation, avant de passer le témoin à l’EPFL. Les premières certifications de durabilité seront délivrées aux opérateurs de mission dès le début 2022. Adjointe du directeur d’eSpace, Emmanuelle David, nous en dit plus.

  • En quoi eSpace est-il particulièrement adéquat pour ce projet?
Emmanuelle David. ©EPFL

Ce mandat s’inscrit dans un champ de recherche que nous explorons activement à eSpace depuis maintenant trois ans: celui de la logistique spatiale durable. C’est un champ indispensable aujourd’hui en raison des importants changements que connait le monde spatial, avec l’augmentation du trafic en orbite, le nombre grandissant d’acteurs, l’avènement de larges constellations de satellites et l’offre de nouveaux services, tels que celui de la mise en orbite, par exemple, dans laquelle des entreprises se spécialisent. Notre rôle est de réfléchir à cette évolution et aux technologies qui la rendront la plus durable possible. En la matière, nous avons développé une expertise et sommes bien placés, en tant que centre, pour répondre tant aux implications techniques du projet, qu’à la nécessité d’un dialogue avec l’industrie et le monde politique. Le fait d’être en Suisse, connue pour son savoir-fédérer et sa tradition de neutralité, a également joué un rôle dans ce choix.

  • On parle beaucoup depuis quelques temps des débris spatiaux. Est- ce que ce label traite de ce sujet?

Oui, il est central. Ce projet concerne l’ensemble d’une mission spatiale, de sa conception à ses opérations en orbite. Et à chaque étape, il s’agira d’examiner ce qui est mis en place pour éviter une nouvelle prolifération de débris. Pour examiner cela, le «rating» comprend sept modules répertoriant les mesures de détection et de suivi d’un objet dans l’espace, l’évitement des collisions, le partage des données, le respect des standards et des régulations, la vérification des informations fournies par l’opérateur, la compatibilité avec des services comme la réparation des installations ou le « remorquage » des débris vers des orbites cimetières.

  • S’agit-il de créer un large consensus autour des critères de durabilité du spatial?

C’est la première fois que l’on tente de poser une définition commune de la durabilité spatiale. Et c’est un vrai défi, car il s’agit de juger, de la manière la plus objective possible, de ce qui est durable ou ne l’est pas, ceci à l’échelle mondiale, avec tous les acteurs du domaine, que ce soient les plus traditionnels - Russie, États-Unis, pays d’Asie, Europe - ou les nouveaux entrants, comme les groupes privés.

  • L’objectif de la mission évaluée ne sera toutefois pas pris en considération. C’est pourtant un élément déterminant dans son bilan écologique, comment l’expliquez-vous?

Il ne le sera pas dans un premier temps, en effet. Lors des travaux préliminaires du consortium, cet aspect s’est avéré encore trop conflictuel, nécessitant davantage de travail et de discussions. Dans cette version, le fait qu’il s’agisse par exemple d’un satellite destiné à mesurer le changement climatique ou à implantation un nouveau réseau de diffusion TV n’entrera donc pas en compte. A long terme, il faudra certainement inclure ces aspects, mais à ce stade, il s’agit tout d’abord de tester cette proposition et de voir comment les acteurs l’acceptent et y répondent. C’est une première étape.

  • De quelles solutions concrètes les ingénieurs spatiaux disposent-ils pour aller vers davantage de durabilité?

Il y a de nombreux outils, telles que les mesures destinées à la désorbitation des débris spatiaux - comme le propose la start-up ClearSpace - ou à empêcher leur prolifération en amont. De nombreuses initiatives et recherches étudient également la réutilisation d’un maximum de pièces, structures et matériaux. A l’EPFL le Laboratoire de mise en oeuvre de composites à haute performance travaille sur des matériaux qui se désagrègent lors de leur entrée dans l’atmosphère. D’autres, comme le laboratoire de métallurgie thermomécanique planchent sur l’utilisation des ressources in situ, par exemple de roches et de minerai locaux en cas d’installation d’une base lunaire. Le recours aux techniques d’impression 3D, permettant l’utilisation ou le recyclage des matières à disposition sur place, va également dans ce sens. La miniaturisation permet aussi d’économiser des ressources et de l’énergie.

©ESA
  • Qu’en est-il des décollages de fusées? On imagine facilement les tonnes de carburants nécessaires pour défier ainsi la gravité terrestre. Comment rendre cela plus durable?

Il y a différentes initiatives permettant en tout cas d’en limiter l’impact, comme le développement de lanceurs capables de revenir intacts sur Terre une fois la mission achevée et donc d’être réutilisés. Sans oublier l’arrivée sur le marché de carburants moins polluants, le choix des matériaux en amont, etc. Et puis, au final, il s’agit de regarder le bilan global, c’est-à-dire mettre également dans la balance ce qu’amène concrètement un lancement en termes d’avancée scientifique, de nouvelles connaissances environnementales ou de bénéfices pour la population.

L’un des buts de ce label est de pousser à davantage de transparence sur toutes ces questions. Car, pour obtenir cette certification, les acteurs du spatial devront donner davantage d’informations sur leurs projets et activités. C’est aujourd’hui une demande des citoyens - ce n’est pas pour rien que l’on parle de «rocket science» quand on évoque une science difficilement accessible au grand public. Il est de notre responsabilité de réfléchir aux impacts socio-économiques des activités spatiales et de partager sur ces sujets.