Découverte d'une étape clé de la fabrication des globules rouges

CC / Annie Cavanagh, Wellcome Images

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Des chercheurs de l’EPFL identifient le mécanisme subtil qui régule la naissance des cellules sanguines.

Un adulte en bonne santé produit jusqu’à cent milliards de nouveaux globules rouges chaque jour, pour en maintenir le stock déjà présent dans le sang. À l’EPFL, une équipe de chercheurs a identifié une étape clé dans ce processus de régulation. Cette découverte pourrait mettre en lumière les causes de certains troubles sanguins comme l’anémie. Ce pourrait être aussi un pas significatif vers la production de globules rouges en laboratoire – un enjeu important pour les centres de transfusion.

Le globule rouge, ou érythrocyte, contient de l’hémoglobine qui transporte l’oxygène dans le corps. A sa naissance, dans la moelle osseuse, il est encore une cellule-souche hématopoïétique. Il subit un processus complexe de prolifération et de différenciation, avant d’acquérir ses caractéristiques finales.

Un stade important de ce processus de différenciation est appelé mitophagie. Il s'agit de l'élimination, par absorption, des mitochondries, soit l’appareil respiratoire des cellules souches. Une fois les mitochondries éliminées, la capacité de l’hémoglobine à transporter l’oxygène est maximisée. Jusqu'à présent, ce mécanisme n’était pas tout à fait compris.

Dans un article publié dans Science, dans le cadre du programme NCCR Frontiers in Genetics, Isabelle Barde de la Faculté des Science de la vie de l’EPFL a démontré que des protéines contenant le système de transcription KRAB, en association avec un cofacteur nommé KAP1, modulent la mitophagie de façon subtile et sophistiquée.

Auteur principal de cette étude, le virologue Didier Trono, s'intéresse au duo KRAB/KAP1 depuis plusieurs années. Apparu dans l’évolution il y a 350 millions d’années, ce système a notamment pour fonction de rendre inactif des éléments du génome appelés «rétroéléments». Des fractions d’ADN d’origine virale, qui se sont incorporés dans le code génétique des organismes infectés. « Ce système a tellement bien fait son travail, qu'au cours de l’évolution, il a été coopté pour faire de nombreuses autres choses», explique-t-il.

L’un des autres rôles pris en charge par le système KRAB/KAP1 est précisément de réguler la mitophagie. Les chercheurs ont diagnostiqué de l’anémie chez des souris génétiquement modifiées pour manquer de KAP1. Chez elles, le processus de différenciation des cellules souches était bloqué au stade où les cellules se dégradaient en érythroblastes, les précurseurs des globules rouges. Le fait de neutraliser le système KAP1 a eu un effet similaire sur des globules rouges humains. Cela montre clairement que ce phénomène, commun à l’homme et à la souris, est apparu il y a longtemps, au cours de l’évolution.

Les chercheurs ont aussi montré que le système KRAB/KAP1 agit en bloquant les répresseurs de la mitophagie. Cette étude suggère que des mutations dans les différents éléments du système régulateur pourraient contribuer à des troubles sanguins comme l’anémie ou certains types de leucémie. Elle indique également des cibles thérapeutiques futures pour ces maladies. De plus, elle pourrait ouvrir la voie à la synthèse de globules rouges en laboratoire.

Mais ce résultat a aussi une portée plus large. Les mitochondries, essentielles au fonctionnement de nombreuses cellules, peuvent aussi être nocives si elles génèrent des radicaux libres néfastes – à savoir des produits dérivés de la respiration cellulaire, sous certaines conditions. Le stress oxydatif produit par ces radicaux libres est impliqué dans les maladies du foie, de nombreux problèmes cardiaques ainsi que l'obésité. Saisir comment la mitophagie est contrôlée pourrait mener à une meilleure compréhension de ces pathologies et, potentiellement, à de meilleurs traitements.

Didier Trono pense que ce principe de régulation pourrait s’appliquer à un large éventail de systèmes physiologiques. «Cela donne un formidable niveau de modularité à la nature pour la mise en place de processus physiologiques», explique-t-il.

Le chercheur compare sa découverte au fonctionnement d’un grand orgue. Avec son clavier et son pédalier, le musicien peut opérer une multitude de combinaisons pour moduler finement le son de l’instrument. De la même façon, de minuscules ajustements sur un ou plusieurs éléments peuvent produire des effets significatifs dans de nombreux processus biologiques. Mais si une mutation peut mener à une défaillance, les dégâts seront généralement limités, car la contribution de chacun de ces ajustements est faible. C’est sur cette diversité que repose la robustesse du système. C'est précisément cette résilience qui, selon Didier Trono, est la marque d'une sélection et d’une évolution de plusieurs millions d’années.

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A KRAB/KAP1-miRNA Cascade Regulates Erythropoiesis Through Stage-Specific Control of Mitophagy
Isabelle Barde, Benjamin Rauwel, Ray Marcel Marin-Florez, Andrea Corsinotti, Elisa Laurenti, Sonia Verp, Sandra Offner, Julien Marquis, Adamandia Kapopoulou, Jiri Vanicek, and Didier Trono
Science 1232398 Published online 14 March 2013 [DOI:10.1126/science.1232398]


Auteur: Laura Spinney

Source: EPFL