De Yaoundé à Lausanne : portraits croisés de deux doctorantes

Le Cameroun à l'honneur! Erika (à gauche) et Gaelle devant le Rolex Learning Center avec Armel Kemajou, chef de projet aux centre EXAF. © 2025 EPFL

Le Cameroun à l'honneur! Erika (à gauche) et Gaelle devant le Rolex Learning Center avec Armel Kemajou, chef de projet aux centre EXAF. © 2025 EPFL

Dans le cadre du programme 100 PhDs for Africa, deux jeunes chercheuses camerounaises, Gaelle (1re cohorte) et Erika (2e cohorte), tracent leur chemin entre Yaoundé et Lausanne. Si leurs domaines de recherche diffèrent, elles partagent une même détermination. À travers ces portraits croisés, découvrez deux trajectoires scientifiques portées par l’entraide, l’engagement et une même passion pour la recherche. 

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Gaelle Fokam Fokam - Je m’appelle Maurane Gaelle Fokam Fokam. J’ai obtenu une Licence de technologie en Maintenance Industrielle et Productique à l’IUT Fotso Victor de Bandjoun, au Cameroun. Par la suite, j’ai poursuivi un master recherche en génie mécanique à l’École Nationale Supérieure Polytechnique de Yaoundé (ENSPY), toujours au Cameroun.

Erika Ngos Biyiha - Je m'appelle Erika Ngos Biyiha , j’ai 24 ans et je suis la troisième d’une fratrie de sept enfants. Fille d’un père pasteur et d’une mère ancienne d’église, je suis une chrétienne engagée, animée par des valeurs de foi, de partage et de bienveillance. Mon énergie communicative s’exprime notamment à travers mes passions : la danse — qu’elle soit afro, traditionnelle camerounaise ou latine — et le chant. J’ai obtenu une Licence en Physique à l’Université de Yaoundé I. J’y ai ensuite poursuivi un master dans la même discipline.

Comment avez-vous entendu parler du programme 100 PhD de l'initiative Excellence in Africa ?
Gaelle - J’ai entendu parler pour la première fois dans notre groupe WhatsApp des doctorants de l’école polytechnique de Yaoundé. J’ai trouvé le programme très intéressant. Quelques jours plus tard, mon superviseur professeur Christian Fokam m’en a aussi parlé et m’a convaincu de déposer ma candidature.

Erika - J’ai découvert l’initiative EXAF en 2021, alors que je menais des recherches en ligne.

Qu'est-ce qui vous a incité à soumettre une candidature ?
Gaelle - Ce qui m’a motivé à soumettre ma candidature, c’est le manque d’équipements adéquats dans notre laboratoire à l’École polytechnique de Yaoundé. Généralement, nous sommes contraints d’envoyer nos échantillons dans d’autres structures, parfois hors du pays, ce qui engendre des coûts très élevés. En découvrant le programme 100 doctorats pour l’Afrique, j’ai compris qu’en y postulant, et si ma candidature était retenue, j’aurais l’opportunité de réaliser moi-même mes essais dans l’un des laboratoires de l’EPFL en Suisse. Je pourrais également bénéficier de l’accès à une connexion internet de qualité pour télécharger les articles concernant mon axe de recherche, et surtout, profiter des compétences des chercheurs du laboratoire, en particulier de mon superviseur sur place.

Erika -C’est un ami qui m’a transmis l’appel à candidatures via WhatsApp. Je remplissais toutes les conditions requises. Ce programme représentait une véritable opportunité. Ce qu’il proposait m’a immédiatement séduite, tant sur les plans scientifique, social et culturel que sur le plan financier. C’était, pour moi, une opportunité en or de poursuivre mes études dans des conditions favorables tout en élargissant mon réseau.

Pouvez-vous présenter votre projet ?
Gaelle - Le projet consiste à évaluer le potentiel des fibres extraites des déchets agricoles que sont les nervures de feuilles de bananier, pour en faire des matériaux composites en les combinant avec des résines naturelles.

Nous avons mené d’une part, une étude de discrimination sur les différents procédés d’extractions (rouissage chimique, rouissage naturel, cuisson à eau) des fibres issues des feuilles de bananier et leur incidence sur les propriétés physico-mécanique et le rendement d’extraction. D’autre part, nous avons étudié les caractérisations multi-physique de fibres. Ces caractérisations sont physicochimiques (teneur en cellulose, hémicellulose, extractibles, lignine, taux de cendre, densité, eau, capacité d’adsorption) mécanique (module d’élasticité, résistance à la rupture, allongement à la rupture) et thermique (conductibilité thermique, stabilité thermique). Ensuite, ces résultats nous ont permis d’envisager d’éventuels autres champs d’applications adéquates aux fibres étudiées. Enfin, nous avons comparé aussi les fibres issues de deux localités différentes, l'une issue d'une plantation du Haut Penja, et l'autre issue d'une plantation paysanne au centre du pays, qui utilise moins de pesticides.

La deuxième phase de notre recherche consistait à déterminer les résines végétales les plus compatibles et apporter des propriétés autres que les fibres de la feuille de bananier. En réponse à ces questions, divers protocoles expérimentaux ont été déployés afin de déterminer les caractéristiques physiques (densité, porosité, taux d’absorption, biodégradabilité, perméabilité à la vapeur d’eau...) et mécaniques (module d’Young, résistance ultime, allongement ultime, résistance à l’impact…).

Erika - Mon projet intitulé ''Etude d’un écoulement entre deux cylindres coaxiaux à entrefer constant avec gradient de température'' vise à étudier la faisabilité de systèmes de transport du pétrole lourd dans ces conditions, dans le but d’optimiser l’écoulement de fluides visqueux et de proposer de nouvelles configurations d’exploitations et de fabrication d'oleoducs plus efficaces pour l'industrie pétrolière. Cela sera bénéfique tant pour les acteurs des secteurs publics que privés.

Pouvez-vous présenter brièvement votre superviseur et votre co-superviseur ?
Gaelle - Mon directeur de thèse principal est le Professeur Bienvenu Kenmeugne (génie mécanique à l’École Nationale Supérieure Polytechnique de Yaoundé (ENSPY)). Il est assisté par le Professeur Christian Fokam Bopda, maître de conférences dans le même département, qui agit en tant que co-superviseur. La supervision scientifique est complétée par la Professeure Véronique Michaud, professeure associée à l’EPFL, où elle dirige le Laboratoire de mise en œuvre de composites à haute performance (LPAC).

Erika - Mon projet est encadré par le Professeur Elisabeth Ngo Nyobe, enseignante en génie mécanique à l’École Nationale Supérieure Polytechnique de l’Université de Yaoundé I, et associée au laboratoire de Mécanique Appliquée de la Faculté des Sciences. Elle se distingue par son dynamisme, sa rigueur et sa grande disponibilité. Elle sait accompagner les étudiants avec une attention presque maternelle, en les conseillant avec justesse et écoute. Mon co-superviseur, le Professeur François Gallaire, dirige le Laboratoire de Mécanique des Fluides et Instabilités à l'EPFL. Il se démarque par sa simplicité, son ouverture d’esprit et son professionnalisme. C’est une personne incroyable !

Pouvez-vous parler de votre séjour en Suisse ? Comment s'est déroulée la préparation de votre venue en Suisse ?
Gaelle - La préparation de mon premier séjour en Suisse n’a pas été simple. Lorsque nous nous rendions à l’ambassade pour obtenir des renseignements, on nous renvoyait systématiquement vers le site internet. La prise de rendez-vous en ligne posait parfois problème, et il était difficile de savoir vers qui se tourner pour obtenir de l’aide. De plus, toute la procédure — de la demande de rendez-vous jusqu’à l’obtention du visa — était particulièrement longue : dans mon cas, elle a duré neuf semaines.

Erika - La préparation de mon séjour en suisse était plutôt tranquille. J'avais déjà certaines informations utiles, ce qui a grandement facilité les démarches et allégé l’organisation. Depuis mon arrivée, mon expérience est très agréable. L’accueil au sein du laboratoire a été particulièrement chaleureux, et l’ambiance quotidienne est très Conviviale . J’ai également reçu un accueil remarquable de la part de la communauté camerounaise en Suisse, ce qui a renforcé mon sentiment d’intégration. Je trouve la ville de Lausanne paisible et le lac Léman est si beau.

Avez-vous des anecdotes amusantes ou inattendues à nous raconter sur votre séjour ?
Gaelle - Oui, cela concerne mon logement lors de mon premier voyage en Suisse, en janvier 2023. Depuis le Cameroun, je cherchais un logement en ligne, mais l’accès aux plateformes de logement était restreint. On me répondait qu’il fallait déjà être en Suisse pour y accéder. Mon superviseur au Cameroun m’a alors mise en relation avec une connaissance, qui connaissait quelqu’un en Suisse ayant une chambre à louer. À mon arrivée, j’ai emménagé comme convenu. Mais quelques semaines plus tard, le propriétaire m’a annoncé que je devais libérer la chambre, car sa famille venait d’obtenir un visa et arrivait sous peu. Il m’a donné trois jours pour quitter les lieux, alors que j’avais déjà payé le loyer. Je ne savais absolument pas où aller et j’étais totalement déstabilisée. J’ai sollicité l’aide de ma superviseuse, et ensemble, nous avons cherché un logement, sans succès. Face à l’urgence de la situation, elle m’a généreusement proposée de m’accueillir chez elle, le temps que nous trouvions une solution plus durable.

C’est pourquoi je recommande vivement que, dans les années à venir, l’équipe EXAF mette en place un dispositif d’accompagnement spécifique pour le logement des bénéficiaires du programme 100 doctorats pour l’Afrique. Trouver un logement abordable aux alentours de l’EPFL est extrêmement difficile, surtout lorsqu’on ne connaît personne sur place.

Erika - Oui j'ai plein d'anecdotes. Avant mon départ, on m’avait dit que c’était le printemps en Suisse, qu’il ne faisait plus si froid, et que de simples manteaux légers suffiraient. Le problème, c’est que ce conseil s’applique à ceux qui sont déjà habitués au climat local... et pas à quelqu’un qui arrive directement de la chaleur de Yaoundé ! Donc je porte un manteau ou un blouson tous les jours, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il m’arrive même de marcher dans la rue sous le soleil ou de rester en blouson toute la journée au labo, ce qui suscite parfois des regards amusés.

À mon arrivée, j’ai pris le train de Genève jusqu’à Morges, où la secrétaire du laboratoire devait venir me récupérer en voiture. Sauf que j’avais oublié d’activer le roaming sur ma carte SIM avant de partir, et je ne pouvais donc pas la joindre. Je me suis alors tournée vers un monsieur pour lui demander où je pourrais trouver une cabine téléphonique, et il m’a répondu — très sérieusement — « Mais les cabines téléphoniques, ça n’existe plus ! »

Le premier jour, j’ai aussi raté un métro. Je pensais que les portes étaient automatiques. En voyant les gens entrer, je me suis tranquillement positionnée devant une porte, attendant qu’elle s’ouvre toute seule… jusqu’à ce que le métro démarre, me laissant là! C’est seulement en observant les suivants que j’ai compris qu'il fallait appuyer sur un bouton pour ouvrir les portes.

Financement

Ce projet fait partie de l'initiative Excellence in Africa, soutenue par l'UM6P et l'EPFL.