De minuscules gouttelettes rebondissent sans éclater

Une gouttelette d’huile de silicium rebondit au-dessus d’une surface de mica vibrante. 2025 EMSI LFMI EPFL CC BY SA
Des scientifiques de l’EPFL ont découvert qu’une gouttelette peut rebondir pendant plusieurs minutes, voire indéfiniment, sur une surface solide vibrante. Cette observation, apparemment simple, a d’importantes implications pour la physique et la chimie.
Quand vous versez du liquide dans une poêle chaude, peut-être avez-vous remarqué que les gouttelettes bouillonnaient et glissaient sur la surface grésillante, au lieu de s’aplatir et de la mouiller immédiatement. Cela survient parce que la chaleur de la poêle commence à faire bouillir la face inférieure des gouttelettes, produisant une vapeur qui agit comme un coussin isolant sur lequel elles peuvent, momentanément, danser.
Des scientifiques ont créé une version de ce phénomène à température ambiante, appelé l’effet Leidenfrost, en remplaçant la surface chaude par un bain liquide à vibration rapide. Dans ces expériences, les vibrations produisaient un mince film d’air sur lequel les gouttelettes liquides pouvaient rebondir et planer en permanence.
Désormais, des scientifiques de la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur de l’EPFL ont montré de manière expérimentale qu’une gouttelette d’huile peut rebondir sur une surface solide vibrante à température ambiante pendant jusqu’à cinq minutes.

«Ce qui est intéressant ici, c’est que les observations précédentes de gouttelettes rebondissant sans cesse étaient déterminées par la surface changeante du bain liquide vibrant. Mais dans notre cas, la surface est solide, de sorte que les déformations de la goutte entraînent son comportement unique», explique John Kolinski, responsable du Laboratoire de mécanique des interfaces souples. «Nos travaux apportent de nouvelles connaissances en physique et mettent en évidence le potentiel de manipulation de précision de petites quantités de liquide dans l’air.»
Les scientifiques ont publié leurs observations, ainsi qu’un modèle pour les expliquer et les prédire, dans la revue Physical Review Letters.
Comme au tennis de table et au basket
Dans le cadre de ses expériences, l’équipe a libéré une gouttelette de 1,6 millimètre d’huile de silicium sur une surface solide, sous laquelle un plateau produisait des vibrations contrôlées. Pour Lebo Molefe, principale autrice et doctorante, cela revient à faire rebondir une balle sur une raquette de tennis de table. «Si nous remplaçons la balle par une goutte de liquide, nous constatons qu’elle peut rebondir perpétuellement au-dessus d’une mince couche d’air sur une “raquette” vibrante, qui, dans notre cas, est faite de mica, un matériau particulier atomiquement lisse», précise-t-elle.
En jouant avec la fréquence et l’amplitude de ces vibrations, les gouttelettes ont adopté deux comportements distincts: certaines fréquences donnaient l’impression que la gouttelette rebondissait comme un ballon de basket...
...tandis que d’autres la faisaient bouger rapidement de haut en bas sans jamais quitter le mince coussin d’air au-dessus du mica.
Comme l’explique Lebo Molefe, la transition entre ces deux états est liée à la façon dont la surface de la gouttelette se bombe et se déforme lorsqu’elle interagit avec la surface rigide en dessous. «Pour rebondir sur la surface, la goutte a besoin d’assez de temps pour s’aplatir d’abord, de sorte que la tension superficielle l’amène à emmagasiner de l’énergie comme un ressort spiralé. À des fréquences de vibration élevées, il n’y a pas assez de temps pour que cela se produise, de sorte que la goutte semble coincée près de la surface.»
Précision pharmaceutique
Pour interpréter leurs observations, Tomas Fullana, chercheur au Laboratoire de mécanique des fluides et instabilités, a mené des simulations numériques visant à caractériser la dynamique complexe du rebond des gouttelettes, facilitant ainsi le développement d’un modèle qui a permis à l’équipe de simuler et de prédire avec précision leurs comportements de rebond mesurés.
Il est intéressant de noter que les scientifiques ont constaté que le temps de vol stationnaire de la gouttelette semblait limité uniquement par sa progression latérale à travers la surface du mica, car elle finissait par rencontrer un défaut qui rompait le film d’air sous-jacent, déclenchant le «splash» habituel. Sinon, indique Tomas Fullana, «nos simulations numériques montrent qu’une goutte pourrait conserver suffisamment d’énergie cinétique pour rebondir pendant une période prolongée, voire indéfiniment.»
Cette découverte pourrait changer la façon dont les scientifiques envisagent la manipulation de très petites quantités de liquide dans l’air à température ambiante – un défi important dans l’industrie pharmaceutique, où la pureté chimique et la précision sont primordiales. Par exemple, dans le cadre d’une expérience de validation de principe, l’équipe de l’EPFL a réussi à contrôler le mouvement latéral de leur gouttelette rebondissante sur la surface du mica à l’aide de «pinces» constituées de minuscules jets d’air comprimé.
Drops Can Perpetually Bounce over a Vibrating Wettable Solid. Lebo Molefe, Tomas Fullana, François Gallaire, and John M. Kolinski. Phys. Rev. Lett. https://doi.org/10.1103/w3qq-cnj3