De la scène de crime à la gestion de crise
Éric Du Pasquier, directeur du Domaine de la sécurité et de l’exploitation de l’EPFL, est le premier lauréat de l’« Outstanding Commitment Award » remis lors de la Magistrale 2022. Cette distinction salue particulièrement son engagement et sa gestion de la crise du covid.
Quand le 15 septembre dernier à 21h31 Éric du Pasquier reçoit l’e-mail lui annonçant qu’il est le lauréat de l’Outstanding Commitment Award, il tombe des nues. «Je ne m’y attendais pas du tout. J’ai été extrêmement ému et touché. C’est une reconnaissance énorme pour les services centraux de l’EPFL et les quelque 200 personnes qui ont contribué à assurer les missions de l’EPFL durant la crise du Covid.» Le directeur du Domaine de la sécurité et de l’exploitation de l’EPFL a reçu le prix, décerné pour la première fois, des mains du président de l’EPFL Martin Vetterli à l’occasion de la Magistrale qui s’est déroulée le 1er octobre.
Pour celles et ceux qui ont eu ou ont le plaisir de travailler avec Éric Du Pasquier, cette récompense est une «évidence». «Il est très professionnel, très collaboratif, c’est très facile de travailler avec lui. Il est discret et présent quand il faut. Toujours juste dans toutes les situations», rapporte Samantha Hugon de Mediacom Events. «On peut s’appuyer sur lui. Il a une capacité incroyable à structurer les crises, à fédérer les collaboratrices et collaborateurs, ajoute Frédéric Rauss, responsable de la communication interne. Même quand il est sous l’eau, il se montre disponible, comme s’il avait tout le temps pour toi. En séance, il est là, il écoute, on le consulte.» Alexandre Jacquat, chef du Service sécurité, intervention et sûreté qui travaille avec lui depuis 10 ans, confirme et ajout: «Éric n’hésite pas à venir sur le terrain dès qu’il peut et participer à l’effort collectif. Dès qu’il peut, il supporte et soutient ses collaborateurs et collaboratrices. Toujours avec beaucoup de respect.»
Éric n’hésite pas à venir sur le terrain dès qu’il peut et participer à l’effort collectif. Dès qu’il peut, il supporte et soutient ses collaborateurs et collaboratrices. Toujours avec beaucoup de respect.
Un expert avant Les experts
La sécurité, la prévention, la surveillance, la gestion des risques et les crises, c’est le lot quotidien d’Éric Du Pasquier depuis son arrivée à l’EPFL, il y a presque 13 ans. Comment ce fan d’enquêtes policières attiré par les sciences en est-il arrivé à passer des journées dans sa cave (non chauffée) à négocier des masques chirurgicaux pour des scientifiques de l’EPFL au printemps 2020?
Le double national qui habite alors en France est en deuxième première année de médecine quand, de passage à Lausanne, il pousse la promenade jusqu’à l’Université de Lausanne. «Je suis tombé amoureux du lieu, en particulier des infrastructures sportives», confesse l’actif quinquagénaire. Une visite au centre d’orientation lui fait découvrir la police scientifique, son entretien avec le directeur de la section scelle son orientation. «Nous étions 14 à l’époque. Il n’existait en Europe que deux écoles à proposer cette filière: une en Écosse, l’autre à Lausanne. C’était avant la série Les experts.»
Éric Du Pasquier sort diplômé des sciences criminelles de l’UNIL. Les années suivantes le mèneront de scènes de crimes en incendies et explosions en passant par les salles d’autopsie, les morgues et les tribunaux. Au laboratoire de la gendarmerie de Paris, il travaille sur la reconstitution balistique de crimes graves. En 1994, il travaille comme expert incendie après le suicide des adeptes du Temple solaire à Cheiry, dans le canton de Fribourg. Il travaille un temps à mi-temps pour la police cantonale Jurassienne tout en poursuivant son doctorat en sciences criminelles et incendies toujours à l’UNIL. Il passe trois ans à Sydney à enseigner les sciences forensiques et monter un groupe de recherche toujours dans le domaine de la gestion des scènes de crime et des incendies/explosions. De retour en Suisse, en 2003, il publie sa thèse sur l’Investigation des incendies de véhicules automobiles. Aujourd’hui indisponible en librairie mais pas à la bibliothèque de l'EPFL.
Toujours un coup d’avance
En 2003, il quitte les crimes pour les sinistres à l’Établissement cantonal d’assurance (ECA) du canton de Vaud. Il plonge dans la gestion de crise quand en 2005 il prend la tête du service des sinistres et désastres naturels et qu’un orage de grêle mémorable lessive la Suisse romande. Quatre ans plus tard, il rejoint l’EPFL.
«La crise on ne l’espère pas, mais elle fait partie des scénarios », confirme celui qui cherche toujours à avoir un coup d’avance contre l’adversité. En décembre 2019 déjà, des signaux annoncent sur ses radars la déferlante covid. En février 2020, il préconise d’arrêter les voyages en Chine pour réduire l’exposition et en mars l’École se dotait d’une task force. On connaît la suite… «Nos décisions étaient toujours en amont de celles de la Confédération», se félicite-t-il. «Éric a la capacité unique d’avoir le recul nécessaire pour analyser la situation et prendre ensuite les bonnes décisions, c’est très appréciable», révèle Alexandre Jacquat.
On sait que la tempête va frapper, mais on se prépare pour encaisser le coup. On renforce les structures, on prépare les gens, on prend des raccourcis pour échafauder quelques scénarios et on travaille dessus. L’objectif est de minimiser l’impact sur les personnes et sur le business.
Rester serein
L’anticipation, la préparation, l’organisation sont des mots qui reviennent souvent quand Éric parle de sa stratégie de gestion de crise. «On sait que la tempête va frapper, mais on se prépare pour encaisser le coup. On renforce les structures, on prépare les gens, on prend des raccourcis pour échafauder quelques scénarios et on travaille dessus. L’objectif est de minimiser l’impact sur les personnes et sur le business.» L’agilité est aussi un atout clé. «Il faut prendre des décisions franches, faire des choix. On peut se tromper, alors on corrige, on avance, mais il faut inculquer une orientation.» Un autre principe essentiel qu’il retient et applique: «Il ne peut y avoir qu’un seul décideur. Pas deux.» Pour autant, ce n’est pas le chef d’orchestre qui règle la crise «On réunit des métiers et des compétences et ce sont les gens sur le terrain qui fait qu’on «réussit» une crise. C’est le travail d’une communauté.» Et de résumer le succès de la gestion de la crise du covid: «Nous avons travaillé avec des personnes qui nous ont fait confiance et en qui nous avions confiance. Les gens ont adhéré, nous les avons écoutés. La direction de l’École nous a fait confiance.»
Et lui, comment garde-t-il son calme olympien? «L’adrénaline positive issue de tout cela. Ma famille, mes enfants qui m’ont littéralement organisé un bureau à la cave.» Et puis, le sport qu’il ne pratique pas à l’extrême, mais intensivement tant pour le plaisir et l’équilibre. À l’heure où la tension énergétique est à son comble, il aurait «bien pris une petite année sans crise». Mais déjà depuis avril avec ses équipes, il consulte, élabore des scénarios, anticipe… Un moyen de rester serein.