De l'art d'arrêter un réacteur nucléaire

La Centrale de Mühleberg © ENSI

La Centrale de Mühleberg © ENSI

Gaëtan Girardin, chercheur en génie nucléaire, nous donne les clés pour mieux comprendre la sécurité des réacteurs. En point de mire, la catastrophe de Fukushima, mais aussi le récent incident mineur de Mühleberg.

Le 8 février à 13h45, le réacteur de la centrale nucléaire de Mühleberg s'est arrêté automatiquement, suite à la détection d’une anomalie. Sans être fréquents, de tels événements ne sont pas exceptionnels. Gaëtan Girardin, chercheur en génie nucléaire et responsable du réacteur Crocus à l’EPFL, participe le 22 février prochain à Sciences! On tourne, un cycle de conférence grand public, sur le thème “Un an après: Fukushima a-t-il vraiment changé la donne?”. Il nous fournit quelques éléments techniques pour mieux comprendre le fonctionnement des centrales nucléaires et, plus particulièrement, la procédure d'arrêt qui avait fait défaut au Japon.

Après Fukushima, la population a réalisé qu’on ne désactivait pas un réacteur nucléaire comme on éteint la lumière. Les choses sont un peu plus complexes.
Gaëtan Girardin: c’est exact. Il s’agit avant tout d’arrêter une réaction en chaîne. Un réacteur nucléaire, c’est une cuve remplie de barres métalliques contenant de l’uranium, du diamètre d’un stylo, plus ou moins. Il s’agit du combustible nucléaire proprement dit. En se désintégrant, un noyau d’uranium relâche des neutrons, qui vont collisionner ses voisins, et ainsi de suite… La chaleur produite par ces réactions de fission va servir à produire de la vapeur, laquelle va faire tourner une turbine électrique. Ce point est commun à toutes les centrales. Pour arrêter le réacteur, c’est-à-dire pour stopper la réaction en chaîne, il faut agir sur la production des neutrons, ou les capturer.

Concrètement, comment procède-t-on pour neutraliser de si petits objets?
Entre les crayons de combustible, ou parfois à la place de certains d’entre eux, on introduit des barres dites «de contrôle». A Mühleberg, par exemple, il s’agit de matériaux sous forme de céramique, à l’intérieur d’une gaîne métallique, qui ont comme propriété d’absorber les neutrons. Dans d’autres réacteurs, le système peut varier. Mais quelle que soit la technologie, le principe reste le même.

Gaëtan Girardin, chercheur en génie nucléaire à l'EPFL © EPFL / Nicolas GuérinA Fukushima, la réaction avait pourtant été correctement arrêtée…
C’est que cela ne suffit pas. On sait qu’une fois la réaction en chaîne arrêtée, un réacteur produit encore environ 7% de son énergie de fonctionnement, sous forme de chaleur. Cela peut paraître anodin, mais si vous considérez la puissance d’une installation nucléaire, et le fait que le tout soit confiné dans un espace très restreint, il y a de quoi endommager sérieusement les matériaux. Il faut bien comprendre une chose: la chaleur ne s’évacue pas par magie. De la même manière, lorsque vous éteignez une plaque électrique, sa température ne descend pas instantanément à 20 degrés. On utilise donc un circuit d’eau pour refroidir le réacteur, notamment après son arrêt. Si cette opération n’est pas correctement effectuée, il y a un risque que les matériaux fondent: d’abord les barres de combustible, puis la cuve et, enfin, l’enceinte de confinement en béton. A Fukushima, c’est précisément ce qui s’est passé. Suite au séisme, les réacteurs se sont arrêtés correctement, mais le tsunami a noyé les installations de refroidissement et provoqué ensuite une fusion du cœur.

A Mühleberg, c’est un simple contrôle de routine qui aurait provoqué l’arrêt du réacteur.
Visiblement, les techniciens en poste ont procédé à un relevé d’eau au mauvais endroit, par rapport à ce qui avait été initialement prévu. Je ne connais pas les détails de cet incident. Peut-être cela a-t-il provoqué une légère variation du débit ou de la pression dans une partie du circuit d’alimentation en eau de refroidissement. Peu importe les raisons, puisque cela a été détecté par le système de surveillance, et que le réacteur s’est automatiquement mis en arrêt. Il s’agit d’une procédure normale en pareille circonstance.

Dans quelles circonstances les systèmes sont-ils programmés pour provoquer l’extinction?
Le réacteur est équipé de nombreux systèmes de sécurité, qui surveillent les parties vitales de la machine. Il y a des points sensibles, comme par exemple la température du combustible ou le débit d’eau dans le circuit de refroidissement. La moindre anomalie, même mineure, va être détectée et analysée par les systèmes de sécurité, et provoquer un arrêt automatique du réacteur. C’est absolument essentiel.

Ce n’est pas la première fois qu’un réacteur est arrêté automatiquement. Le phénomène est même assez fréquent.
Il ne faut pas exagérer non plus. Le dernier arrêt à Mühleberg date de 2007, cela n’arrive donc pas tous les jours. En 2011, aucun de nos cinq réacteurs n’a connu d’interruption d'exploitation par le système automatique. Ce qui me frappe, c’est précisément que ces arrêts soient perçus comme un problème. A mon sens, il est plutôt rassurant que nos centrales soient faites en sorte que le réacteur s’arrête de lui-même à la moindre anomalie. Cela montre qu’on ne transige pas avec la sécurité.

Gaëtan Girardin est l’invité de Science! on tourne, nouveau cycle de conférences grand public de l’EPFL, sur le thème de “Un an après: Fukushima a-t-il vraiment changé la donne?” – le 22 février à 12h15, café Klee, Rolex Learning Center. Pour en savoir plus.