Dans un simulateur quantique, la lumière se comporte comme un aimant
Des physiciens de l’EPFL proposent un nouveau «simulateur quantique»: un dispositif fondé sur un laser, qui peut être utilisé pour étudier un large éventail de systèmes quantiques. Dans le cadre de leurs recherches, ils ont découvert qu’à des températures proches du zéro absolu, les photons pouvaient se comporter comme des dipôles magnétiques, conformément aux lois de la mécanique quantique.
Lorsqu’ils sont régis par les lois de la mécanique quantique, les systèmes composés d’un grand nombre de particules en interaction peuvent présenter un comportement d’une telle complexité que sa description quantitative dépasse les capacités des ordinateurs les plus puissants du monde. En 1981, Richard Feynman, un physicien visionnaire, soutient qu’il est possible de simuler des phénomènes aussi complexes grâce à un appareil artificiel soumis aux mêmes lois quantiques. Ce dernier s’est fait connaître sous le nom de «simulateur quantique».
Des aimants à des températures très basses constituent des exemples de systèmes quantiques complexes. Lorsqu’ils sont proches du zéro absolu (-273,15 °C), les matériaux magnétiques peuvent subir ce qu’on appelle une «transition de phase quantique». Comme dans une transition de phase classique (fonte de la glace en eau, évaporation de l’eau en vapeur), le système passe d’un état à un autre, sauf qu’à proximité du point de transition, il présente une intrication quantique: la caractéristique la plus profonde prévue par la mécanique quantique. Étudier ce phénomène dans des matériaux réels est un défi de taille pour les chercheurs.
Des physiciens dirigés par Vincenzo Savona de l’EPFL ont mis au point un simulateur quantique susceptible de résoudre ce problème. «Ce simulateur est un simple dispositif photonique facile à construire et à utiliser avec des techniques expérimentales courantes», explique Riccardo Rota, chercheur au laboratoire de Vincenzo Savona, qui a dirigé l’étude. «Mais le plus important: il peut simuler le comportement complexe d’aimants réels en interaction à des températures très basses.»
Le simulateur peut être construit avec des circuits supraconducteurs, c’est-à-dire la même plate-forme technologique que celle utilisée dans des ordinateurs quantiques modernes. Les circuits sont couplés à des champs laser de sorte à provoquer une interaction réelle entre les particules de lumière (photons). «Lorsque nous avons étudié le simulateur, nous avons découvert que les photons se comportaient comme des dipôles magnétiques lors de la transition de phase quantique dans des matériaux réels, ajoute Riccardo Rota. En résumé, nous pouvons désormais utiliser des photons pour effectuer une expérience virtuelle sur des aimants quantiques au lieu de réaliser l’expérience elle-même.»
«Nous sommes des théoriciens, précise Vincenzo Savona. Nous avons trouvé l’idée de ce simulateur quantique particulier et avons modélisé son comportement en recourant à des simulations traditionnelles par ordinateur. Cette opération est faisable lorsque le simulateur quantique traite un système suffisamment petit. Nos découvertes prouvent que l’appareil que nous proposons est viable. Nous sommes actuellement en discussion avec des groupes d’expérimentateurs qui seraient intéressés à le construire et à l’utiliser.»
Riccardo Rota a toutes les raisons de se réjouir: «Notre simulateur peut être appliqué à une vaste catégorie de systèmes quantiques, permettant aux physiciens d’étudier plusieurs phénomènes quantiques complexes. C’est une avancée vraiment remarquable dans le développement des technologies quantiques.»
Autre contributeur
Université Paris Diderot (France)
Fonds national suisse de la recherche scientifique, Conseil européen de la recherche (Consolidator Grant CORPHO)
Riccardo Rota, Fabrizio Minganti, Cristiano Ciuti, Vincenzo Savona. Quantum critical regime in a quadratically-driven nonlinear photonic lattice. Physical Review Letters 122, 110405 (21 Mars 2019). DOI: 10.1103/PhysRevLett.122.110405